A la toute fin du siècle dernier, en 1998, année de la victoire de l’équipe de France en finale de la coupe du monde de football, je réalisais ma première expérience longue distance à l’occasion d’une épreuve qui a marqué l’histoire du cyclisme bien qu’abandonnée par les coureurs professionnels depuis 1989. Cette épreuve, Bordeaux Paris, occupe une place à part tant sportivement qu’émotionnellement dans mon parcours cycliste. A l’époque, moi le minot d’un peloton essentiellement composé de solides quadra et quinca, j’ai vécu un rêve éveillé, un rêve de gosse, dont je garde encore mille et une images.
Bordeaux Paris a vu triompher Herman Van Spingel, Marcel Tinazzi, Gilbert Duclos-Lassale, Freddy Martens ou encore Bernard Vallet pour ne citer que les plus connus. Tous s’y sont forgés une réputation : celle de marathoniens de la route. Atypique par sa distance, 640 kms, Bordeaux Paris ne correspond plus évidement aux formats actuels d’un cyclisme devenu très (trop) aseptisé. Alors, pour que la légende demeure, les cyclos ont remplacé les professionnels. Jusqu’en 2010, le club des Cyclosportifs de Guyenne permettant à de nombreux amateurs de longues distances de venir côtoyer la légende de ce fameux « derby de la route » créé en 1891. Le poids des contraintes administratives inhérentes à l’organisation d’une telle épreuve a conduit ses organisateurs à marquer une pause. Une pause qui a bien failli sonner le glas de Bordeaux Paris. Mais une légende ne meurt jamais et en 2014, l’agence ExtraSport relance ce marathon de la route avant qu’un désaccord avec le club co-organisateur ne le remette en sommeil.
ExtraSport, sous la houlette de Michel Sorine, a décidé de lui redonner vie et en mai 2022, Bordeaux – Paris retrouvera une place dans le calendrier des épreuves « ultras ».

Pour préparer au mieux ce rendez-vous, l’agence Extra Sports a organisé les 14 et 15 mai 2021 une reconnaissance grandeur nature du nouveau parcours à laquelle j’ai eu l’honneur d’être invité accompagné de ma fille Coralie qui a vécu pour l’occasion une expérience enrichissante dans l’équipe d’assistance. Je remercie au passage Michel Sorine et toute l’équipe de l’agence Extra Sport pour cette invitation.
Prologue
Le rendez-vous était fixé à 9h15 à Lyon devant les locaux de Extra Sport en ce jeudi de l’Ascension. Autour d’un café et de croissants nous faisons connaissance avec les différents participants de cette reconnaissance au fur et à mesure de leur arrivée. Tout d’abord John et Quentin en charge de la production des images puis Stéphane, mister « Top chef », Nicolas et Simon et enfin Jules en tant que chef de projet « Bordeaux Paris » suivi de Tom et Greg.
Nos affaires ajoutées dans le van de Stéphane, copieusement rempli, nous prenons place avec Nicolas, Simon et Coralie pour rallier Bordeaux où nous attendent Max et Sarah en provenance de Paris.
Le trajet est à l’image de ce que la météo nous réserve pour les 2 jours de reconnaissance. Une succession d’averses plus ou moins intenses entre-coupée de timide percée du soleil dans une ambiance bien fraîche pour un mois de mai.
A peine arrivée à Bordeaux, une partie de l’équipe rejoint l’emblématique pont de pierre et ses 17 arches construit sur ordre de Napoléon 1er entre 1810 et 1822 pour une première séance de prises de vue.



Pendant ce temps, Stéphane se met aux fourneaux pour préparer les ravitaillements des 2 prochains jours et organise le dîner façon « Top chef » !


Bordeaux – Blois, premier tronçon
La nuit de jeudi à vendredi va être très courte. Levés à 2h pour un solide petit déjeuner, nous nous retrouvons au bas de l’hôtel pour un départ sous la pluie à 3h30.
Les premiers kilomètres permettent à chacun de prendre ses marques en vue d’une journée qui s’annonce très longue. Nous sommes 7 à rouler : Sarah, triathlète et seule féminine du groupe, Simon, le benjamin (17 ans) accompagné de Nicolas son papa, Max, compagnon de Sarah et triathlète également tout comme Tom ainsi que Greg et moi-même. 2 vans assurent l’assistance pilotés par Jules et Stéphane avec qui Coralie fait équipe. Pour cette première journée, Romain, directeur adjoint de Extra Sport assure le transport de John et Quentin en charge de la production d’images.
Au fur et à mesure que nous nous éloignons de Bordeaux la pluie cesse mais l’ambiance demeure très humide avec parfois quelques bancs de brouillard. A cette heure matinale, la circulation est quasiment nulle et nous progressons sur des routes au bon revêtement. Le jour semble tarder à se lever mais vers 6h30, les premières lueurs de l’aube laissent apparaître un ciel bien chargé qui va progressivement s’ouvrir et c’est sous un franc soleil que nous atteignons le premier ravitaillement après 140 kms.


Le ciel est décidé à nous être favorable et nous repartons pour les prochains 100 kms après une pause d’une bonne vingtaine de minutes. La suite du parcours affiche un profil particulièrement casse-pattes avec des bosses qui s’enchaînent les unes aux autres et nécessitent des relances permanentes. Gare à celui qui serait tenté de trop en faire ! Un tel profil est particulièrement usant. Les routes sont désormais beaucoup plus petites, bucoliques et parfois secrètes. On traverse de temps en temps quelques villages et belles bourgades aux allures de carte postale d’une France rurale et authentique. Les kilomètres défilent et le cap de mi-parcours approche.
C’est au Dorat, dans la Haute-Vienne, au kilomètre 250 que nous retrouvons l’équipe d’assistance pour un ravitaillement dont seul Stéphane a le secret !


Particulièrement bien rassasiés, nous repartons à 5, Nicolas et Sarah ayant atteint leur objectif kilométrique du jour. Le ciel est redevenu menaçant et nous ne reverrons plus le soleil de la journée. Nous continuons à progresser sur des routes au profil en forme de montagnes russes. Jusqu’à Châteauroux, l’enchaînement de côtes est incessant et devient de plus en plus usant.
Il est aux alentours de 17h30 lorsque nous nous arrêtons pour la 3e et dernière pause du jour. 360 kilomètres ont été parcourus, 90 nous séparent encore de l’arrivée de ce premier tronçon à Mont Près Chambord dans le Loir et Cher. Bananes, crêpes, quatre quart, chocolat et chipster sont les bienvenus pour recharger les batteries avant la dernière ligne droite…


Une dernière ligne droite donc, et quelle ligne droite ! En quittant le dernier point de ravitaillement, quasiment 30 kilomètres interminables nous attendent. Greg et Simon n’en verront pas le bout et nous ne sommes plus que 3, Tom, Max et moi à poursuivre notre route. Il convient de saluer l’excellent comportement de Simon qui malgré son manque d’expérience sur de telles distances et avec tout juste 800 kms de préparation a parfaitement su gérer ces quelques 360 kms parcourus depuis Bordeaux. A 17 ans, il affiche une belle endurance. Chapeau !

De mon côté, je commence à ressentir les efforts accumulés depuis le départ. Un signe ne trompe pas, j’éprouve beaucoup moins de faciliter à garder un coupe de pédale souple et il me faut souvent mettre du braquet pour m’accrocher aux roues de Tom et Max pour qui les kilomètres semblent ne pas avoir d’effet ! Depuis que nous ne sommes plus que tous les 3, le rythme a quelque peu augmenté et ça file bon train alors que l’on approche de la Sologne et de routes que je connais bien. Cette connaissance du terrain me redonne d’ailleurs un regain d’énergie et je vois les kilomètres défiler plus rapidement !
C’est finalement sur les coups de 21h que nous mettons pied à terre définitivement après 455 kms rondement menés sur un parcours casse-pattes qui surprendra sans doute les participants de l’édition 2022 de Bordeaux Paris comme en atteste le profil de ce premier tronçon entre Bordeaux et Mont Prés Chambord.


L’heure est désormais à la douche puis à une pasta partie en extérieur toujours sous la houlette d’un Stéphane au top de sa forme malgré les kilomètres passés au volant de son Trafic ! L’ambiance est détendue et joviale mais on ne s’attarde pas trop car la fatigue commence à se faire ressentir et la température n’invite pas vraiment à rester indéfiniment dehors.
Objectif Paris, jour 2
200 kilomètres sont au programme du second tronçon de cette reconnaissance qui débute sous un petit crachin et par une température digne d’un mois de mars. Enveloppés dans nos vestes de pluie nous prenons la direction du château de Chambord, premier temps fort de la journée avant de poursuivre vers celui de Valançay.


Le soleil finit par se décider à nous accompagner pendant quelques kilomètres mais de manière bien trop furtive. Rapidement, c’est la pluie qui fait son retour alors que nous entrons dans la Beauce. Sous les plus fortes averses, nous sommes maculés de boue en traversant d’immenses étendues de champs de colza, seule touche de couleur dans une ambiance entre gris clair et gris foncé. L’allure est régulière, le groupe parfaitement homogène, chacun semble avoir bien récupéré des efforts de la veille. Hélas pour Greg, un incident mécanique le contraint à attendre l’un des véhicules d’assistance pour se faire dépanner. Nous le retrouverons quelques kilomètres plus loin, à Mérouville où Stéphane nous a préparés des croques monsieur !


Nous voilà déjà repartis pour les derniers 100 kms mais sans Greg qui n’a pu réparer. La pluie est toujours bien présente et les jambes commencent à durcir en ce qui me concernent ! La vallée de Chevreuse et son enchaînement de côtes, dont celle des 17 tournants, risquent de se passer à l’énergie. Fort heureusement, le soleil fait son retour lorsque nous entrons dans le département des Yvellines. Nous allons néanmoins essuyer encore une bonne averse avant de plonger sur Versailles où le soleil, forcément, fait son retour pour illuminer les dorures du château. On touche désormais au but, le cap des 620 km depuis la veille a été franchi et il ne reste plus qu’à se laisser glisser en direction de Issy les Moulineaux, terme du prochain Bordeaux Paris puis à continuer sur les quais de Seine pour une dernière séance photos au pied de la Tour Eiffel.


Epilogue
Cette reconnaissance était destinée à peaufiner la préparation du prochain Bordeaux Paris. D’un point de vue général, le parcours qui sera proposé aux participants en mai 2022 offrira un beau terrain de jeu aux baroudeurs. Jusqu’à Châteauroux (km 350), le profil ne laisse que peu de répit et gare à ceux qui grilleront trop rapidement de précieuses cartouches ! Les routes de la Vienne, de la Haute-Vienne et de la Creuse sont un pur délice, assurément mon coup de cœur. On évolue loin des grands axes de circulation, sur de petites routes qui serpentent dans le bocage. Un vrai bonheur. Après Châteauroux, le décor change radicalement jusqu’aux portes de la Sologne. Il faut en avoir gardé sous la pédale pour remettre du braquet sur des lignes droites qui semblent interminables. Le passage à Chambord est un grand moment, presque solennel tant le site est prestigieux. Puis vient l’incontournable traversée de la Beauce où l’horizon semble infini. Là, on commence à sentir le poids des kilomètres alors que les côtes de la vallée de Chevreuse sont désormais toutes proches. C’est pourtant ici que tout va se jouer pour les plus costauds. Pour les autres, il faudra gérer et savourer cet ultime parenthèse bucolique avant d’aborder la dernière ligne droite non sans jeter un oeil au château de Versailles puis dérouler jusqu’à Issy les Moulineaux aux portes de Paris.
Avec un tel parcours, Extra Sport perpétue sans conteste la tradition de Bordeaux Paris, un marathon de la route sans temps mort qui s’adresse à la fois aux solides rouleurs comme aux baroudeurs au long cours souhaitant vivre ou revivre les émotions que procure une épreuve mythique et immortelle.
Participer à cette reconnaissance fut un réel plaisir et je remercie une fois encore Michel Sorine de m’avoir proposé d’être de cette aventure, qui plus est avec ma fille Coralie.
Organisation au top avec une mention spéciale à Stéphane Chassignol, véritable maestro des ravitos. Bravo à Jules Sentenat pour la préparation minutieuse qui n’avait rien laissé au hasard et coup de chapeau aux acrobates Quentin Iglésis et John Falchetto qui ont assuré les prises de vues sans oublier Romain Houzé présent le vendredi.



Et pour finir, merci à mes camarades de jeu pour cette belle partie de manivelles que nous avons partagés : Nicolas et Simon Mas Peyrat, Greg Hetuin, Max Godet et Sarah Vidal, Tom Pagani. Hâte de pouvoir en partager de nouvelle.




Crédits photos : Stéphane Chassignol, Quentin Iglésis, Jules Sentenat, agence Extra Sport