Samedi 27 avril, 4h du mat, Grenoble. Le risque d’averses éparses annoncé la veille par la météo s’est transformé en pluie soutenue. Et pourtant, nous sommes environ une bonne centaine à nous retrouver sur cette fameuse place de Sfax, rendez-vous de tant de randonneurs au long cours. Le programme est copieux : 400 km, des cols à profusion pour plus de 5000 m D+.
La plupart des participants est là en prévision de Paris – Brest – Paris.Quelques autres, comme moi, pour accumuler des kilomètres en prévision d’autres objectifs. On squatte les abris bus jusqu’à ce que le maître des lieux, Jean-Philippe Battu, dont il convient de saluer le travail réalisé pour organiser ces BRM, nous invite à prendre la route. Premiers kilomètres neutralisés sous sa conduite puis en quittant Claix, chacun prend son rythme de croisière. Les plus rapides s’isolent rapidement à l’avant et forment un petit groupe d’une dizaine d’unités. Je laisse faire, préférant rester dans ma zone de confort. Je vois leurs loupiotes rouges s’éloigner, puis bientôt disparaître. La pluie ne m’affecte pas, je grimpe à mon train dans le silence. La route sera longue. Alors à quoi bon se dépouiller dès le début pour accrocher les roues ?
Un rapide regard vers l’arrière va me faire rapidement changer d’avis sur mon attitude. Je constate en effet qu’aucune lumière ne vient percer l’obscurité. 3 options se présentent alors à moi : soit je poursuis à mon rythme avec le risque de rouler seul pendant de nombreux kilomètres, voire pendant toute la totalité de ce brevet; soit je temporise pour laisser revenir sur moi mes premiers « poursuivants » mais avec le risque par la suite de rouler un peu trop en dedans; soit je me donne un violent coup de pied au derrière et je me lance à la poursuite du premier groupe avec cette fois le risque de ne jamais les rattraper et de griller de précieuses cartouches.
Je vais finalement même opter pour cette 3e option et aussitôt, j’enquille sur la plaque, me dresse sur les pédales et m’engage dans une folle, et peut être suicidaire course-poursuite. Pendant plusieurs kilomètres, je ne vois toujours aucun feux arrières, puis, à la faveur d’une large courbe, plusieurs points rouges scintillants apparaissent enfin. J’estime le trou à combler d’environ une grosse minute. Je ne cesse de me mettre en danseuse pour relancer énergiquement. La température corporelle augmente, j’ouvre totalement ma veste de pluie pour mieux ventiler. Je ne sais combien de temps je vais pouvoir tenir à ce rythme mais je me donne sans vraiment compter. Les lumières rouges sont de plus en plus souvent visibles, signe que mes efforts ne sont pas vain.
A l’entrée de Monestier de Clermont, il me reste environ 300 mètres à boucher. C’est peu mais tant que je ne suis pas dans les roues ce n’est pas gagné.
Je vais finalement faire la jonction au rond point qui précède le sommet du col de Faux. Une délivrance. Mais à quel prix. J’ai le souffle coupé, les jambes en feu et au fond de moi je crains de payer cette débauche d’efforts car le groupe que je viens de retrouver n’a pas l’intention de musarder ! Et ça envoie immédiatement du lourd comme dirait certains et la traversée du Trièves va se faire à vive allure. Je ne rechigne malgré tout pas à prendre quelques relais, sans doute portée par l’euphorie de mon retour inespéré dans le groupe des « cadors ». Les chiffres sur Strava ne trompent pas. Malgré la pluie, l’obscurité et la perspective des 400 km à parcourir, je pulvérise tous mes records personnels sur cette section.
Je marque malgré tout un peu le pas dans les 5 derniers kilomètres du col de la Croix Haute au sommet duquel, je retrouve tout le groupe en train de s’équiper pour la longue descente de la vallée du Buech réputée pour être très froide. Je fais le pari de ne pas avoir besoin de m’arrêter et m’engage dans la descente sur les talons de Thomas, bientôt rejoint par Olivier, Bertrand et Silvère ainsi qu’un 5e comparse.
Nous filons bon train jusqu’à Eyguians. Effectuant sans retenue de longs relais,je ne sais combien temps je pourrais tenir dans ce groupe mais je suis bien disposer à m’accrocher aussi longtemps que mes jambes me le permettront tout en ayant conscience d’être parti sur un rythme au dessus de celui que j’ai l’habitude d’adopter pour affronter une telle distance. Ceci étant, il faut savoir parfois s’exposer et tester ses limites. Ce BRM aura donc valeur de test : ça passe ou ça casse !
Dans tous les cols je vais avoir le sentiment d’être en sursis mais je parviens à limiter la casse. Les kilomètres défilent, l’allure ne faiblit pas et je repense à plusieurs fois au moment où j’ai décidé de me « lever le cul » de ma selle dans la montée du Faux pour revenir à l’avant. Sans cela, je serai parti pour une virée à l’économie alors que là, j’ai le sentiment d’évoluer dans une autre dimension ! Encore une fois, je prends conscience que pour performer sur du long il ne suffit pas seulement d’accumuler des kilomètres. Savoir hausser le rythme et effectuer un travail en intensité est nécessaire.
Une première alerte sérieuse va toutefois se produire à l’approche de Saou. Alors que j’avais pris de nombreux relais depuis Bouvières, un début de crampes me saisit les mollets alors que je m’apprêtais à relancer l’allure. Je me rassois aussitôt en espérant que tout rentre dans l’ordre. Je lève également un peu le pied et je laisse filer mes compagnons de route vers le Pas de Lauzun. Je finis par les perdre de vue et commence à me faire une raison. Tenir jusque là était inespéré…
Je franchis le Pas de Lauzun et bascule dans la descente rendue difficile par la présence de gravillons. Je prends le moins de risque tout en conservant un maigre espoir de retrouver mes 3 compères à Mirabel et Blacons où Bertrand a l’intention de faire un arrêt. A ma grande surprise, je les aperçois en arrivant sur Aouste mais je ne peux faire la jonction car je suis gêné par la circulation dans le rond de la route de Crest. Ils ne sont cependant qu’à une portée de fusil et j’arrive quasiment au même moment qu’eux à Mirabel. La boulangerie dans laquelle Bertrand voulait s’arrêter étant fermée, on se pose dans le bar en face et on s’envoie 2 tartines de Saint Marcellin en guise de remontant ! Thomas et Olivier ont préféré poursuivre leur route en direction du col de Bacchus, ultime difficulté du jour.
Bien ragaillardis par cette pause, nous reprenons à notre tour la route. Cette dernière ascension va être longue et nous convenons rapidement avec Bertrand que chacun montera à son rythme, celui de Bertrand étant supérieur au mien. Sans monter très vite, je ne me désunis pas. Les sensations ne sont finalement pas trop mauvaises à ce stade du parcours et je rejoins Bertrand en haut du col sans avoir eu besoin de piocher dans mes (dernières) forces. Le ciel s’est rapidement assombri alors que plus bas, nous évoluions sous le soleil en ayant pour la première fois de la journée la sensation d’avoir chaud. On s’équipe donc en conséquence en ayant conscience que la pluie de ne devrait plus tarder à faire son retour comme les prévisions météos l’avaient annoncées. Elle finit par s’installer à la Vacherie où nous effectuons le dernier contrôle et là, quelle surprise de voir revenir vers nous Thomas et Olivier ! Ils ont en effet zappé ce dernier CP et on fait demi-tour après Léoncel en constatant leur bévue. Voilà notre quatuor reconstitué contre toute attente !
La descente sur Saint Jean-Royans s’effectue sous une pluie battante et une nouvelle fois je bénis les freins à disques qui me procurent une confiance incroyable. Nous effectuerons un dernier arrêt boulangerie à Saint Jean avant de remonter sur nos machines pour la dernière ligne droite. La bosse à la sortie de Pont en Royans me pousse dans mes derniers retranchements mais malgré mes efforts je ne parviens pas à garder le contact. Le tempo de Thomas est trop soutenu et il me faut temporiser un peu. Thomas va finalement partir seul et c’est avec Olivier et Bertrand que nous terminerons ce BRM rondement mené. Le retour classique par la voie verte va nous demander la plus grande des vigilances en raison de la présence de nombreuses branches et débris et de la pluie. Bertrand assume les plus longs relais et je m’efforce de passer encore tant que les jambes répondent. La vue du pont qui enjambe le Drac est une délivrance. Nous tenons le bon bout ! Et qui plus est, la nuit n’est pas encore tombée. Nous achevons ce BRM à 20h30 et retrouvons Thomas, arrivé une dizaine de minutes avant nous, devant la fameuse boîte à lettres de Jean-Philippe Battu. Nous sommes trempés mais heureux d’en avoir terminé sans avoir rencontré de souci particulier compte tenu des conditions météorologiques.
Le bilan est très largement positif et les enseignements à tirer nombreux. Je retiens avant tout le fait d’avoir nettement pu hausser le rythme au bon moment lorsqu’il a fallu prendre « mes responsabilités » dans la première ascension. J’ai du quitter ma zone de confort, celle qui me permet d’accumuler les kilomètres sans trop solliciter mon organisme. Puis une fois le « big four » intégré, je n’avais plu trop le choix que de me maintenir un peu au dessus de mes capacités sous peine de devoir évoluer seul. Il me reste cependant encore du travail pour améliorer mon niveau de performance. C’est une motivation supplémentaire qui passe par des séances plus courtes et plus intenses que celles que j’ai l’habitude de réaliser. Les sorties en gravel devraient m’y aider…
Merci encore une fois à mes 3 compagnons de route et tout particulièrement à Bertrand, licencié comme moi au club des Cyclosportifs Couxois et membre du Team Cyclosportissimo depuis cette année. Nous nous enrichissons mutuellement à travers nos échanges et nos sorties communes.
Comment ne pas terminer sans avoir une pensée pour tous les participants de ce Brevet compte tenu des conditions dans lesquelles il s’est déroulé. Je pense notamment tout particulièrement à Brigitte Creton ainsi qu’à mes 3 autres collègues du Team Cyclosportissimo, Dominique Grégoire, Silvère Mory et Jonatnan Farge.
Place maintenant à une petite semaine de récupération après un bel enchaînement Flèche Vélocio (520 km) et ce BRM 400 avant de m’évader le temps du 1er week-end de mai sur les sentiers de la Montagne Noire à l’occasion du Gravel Black Moutain à Bram dans l’Aude.
Photo en une : Thomas Verin
Merci Patrick, et bravo car effectivement tu étais à la limite toute la journée.
Encore une très belle expérience partagée avec Thomas, Olivier et toi sans oublier Sylvère.
Supper récit comme à chaque fois! Et belle perf! Bravo. Et courageux d’avoir oser lever ton cul comme tu dis pour rejoindre le groupe.
Merci pour ce récit qui donne envie mais aussi qui prouve que la longue distance se travaille même dans des compartiments pas forcément évidents comme le fractionné long!!
Bravo les gars.