Le Tour de France a-t-il perdu son âme ?

Le Tour de France a-t-il perdu son âme ? Voilà la question que je me pose lorsque j’observe la manière dont les médias s’intéressent à cet événement dont la ferveur populaire me questionne aussi. Que d’interrogations me direz-vous !

Pourtant, j’ai le sentiment de ne plus reconnaître cette formidable épreuve qui 3 semaines durant, chaque été, captivait mon attention. Je me souviens des premières images sur lesquelles je suis tombé presque par hasard en 1983. Des images en noir et blanc d’un autre temps ! Je les revois pourtant encore comme si c’était aujourd’hui.

03-tour83Laurent Fignon était alors au sommet de son art. Ces premières images ont été une véritable révélation. J’avais alors 10 ans. Plutôt rondouillet au point qu’à l’école on m’appelait « mammouth », j’ai immédiatement nourri l’envie de m’élancer un jour dans de folles chevauchées montagnardes. Aussitôt la retransmission terminée, j’enfourchais le joli vélo Libéria bleu que mes parents m’avaient offert, j’ajustais mon bandeau « Renault » pour ressembler à Laurent Fignon et je m’élançais sur des itinéraires imaginaires, tête baissée bien entendu pour avoir l’air d’un coureur !

Ce qui n’aurait pu rester qu’un rêve de gosse où une simple occupation estivale deviendra réalité quelques années plus tard et aujourd’hui encore, ma passion pour les longs périples en montagne demeure plus qu’intacte. Goût de l’aventure, envie de découvrir de nouveaux horizons, venir à bout de challenges personnels sans avoir forcément l’œil rivé sur le chronomètre pour réaliser une performance, voilà l’état d’esprit qui anime ma pratique cyclosportive et me procure le plus grand des plaisirs. De grands moments de bonheur, seul ou partagés avec quelques compagnons de route. Une certaine idée du sport qui rime avec authenticité, générosité et simplicité très éloignée de l’image qui nous est aujourd’hui renvoyée par les médias.

Le regard pétillant qui était le mien dans mon enfance lorsque je m’installais pour regarder la retransmission des étapes du Tour a perdu de sa vivacité aux fils des années. Course insipide, scénario des étapes écrit à l’avance, absence de « grandes gueules » au sein du peloton m’ont progressivement éloigné de cette grande fête annuelle du vélo. Une fête qui plus ait gâchée à la fois par le climat de suspicion générale qu’entretiennent les médias et par le comportement d’une certaine frange du public qui se presse sur le bord des routes pour être au plus près d’une pâle copie des forçats de la route d’antan…

D’une fête populaire le Tour de France est devenue une machine commerciale où le business a pris le pas sur le sport et où la technologie relègue au second plan la gestuelle sportive. La performance de ces nouveaux gladiateurs se mesurent désormais en watt et non plus au nombre de goûte de sueurs qu’ils perdent sur les pentes des cols des Alpes ou des Pyrénées. Les commentateurs se muent en experts scientifiques pour analyser et décrypter des quantités de données que le commun des mortels ne peut véritablement comprendre l’intérêt sauf à avoir Bac +5. A bien y réfléchir, nous sommes en fait au cœur de la problématique de notre société où la « dictature » des données et des algorithmes prend le pas sur l’homme et sur l’imprévu . Tout est soigneusement paramétré et préparé. Nulle place n’est laissée au hasard ou à ce petit brin de folie à l’image d’un Thierry Marie qui lors de la 6ème étape du Tour 91, entre Arras et Le Havre, réalise l’exploit de s’échapper en solitaire pendant 234 kilomètres, tout en chantant « j’irai revoir ma Normandie ». Il remportera non seulement l’étape mais endossera également le maillot jaune. Le panache n’a hélas plus sa lace dans le cyclisme moderne.

A l’aire des oreillettes, les coureurs sont désormais télé-guidés par leur directeur sportif et malheur à celui qui débranche cet appendice qui le relie à l’intelligence articifielle.

Hier on encensait les vainqueurs d’étape, aujourd’hui, à peine la ligne d’arrivée franchie on s’interroge sur les moyens illicites auxquels ils auraient pu avoir recours pour s’imposer. Les médias entretiennent un climat de soupçon et de suspicion qui alimentent un flot continu de propos méprisants et vulgaires de la part prétendus passionnés de cyclisme qui n’hésitent pas à déverser leur bêtise au passage des coureurs.
Qu’il est loin le temps où on s’installait au bord de la route pour un pique nique familial en attendant le passage des coureurs, l’oreille collée à la radio d’où sortait la voix d’un Jean-Paul Brouchon. La ferveur populaire était empreinte d’un respect pour les coureurs qui aujourd’hui hélas tant à disparaître.

Alors oui, j’en suis désormais convaincu, le Tour de France a bien perdu son âme. Mais qu’importe, il m’aura permis de trouver ma voie et j’espère encore longtemps pouvoir continuer à pratiquer ce si beau sport qu’est le vélo en ayant l’œil pétillant de mes 10 ans. « Quand on partait de bon matin, quand on partait sur le chemin, à bicyclette… ».

  1. Moi aussi, quand j’avais 15 ans, je sautais sur mon vélo, un 1/2 course « Oscar Egg », une fois l’étape arrivée…
    j’avais un circuit à Athis-Mons (91) d’environ 5 km, avec un côte bien raide de 500m, une descente en virages, et au milieu 2 lignes droites de 1500m…
    Je m’envoyais 4, 5 tours, parfois plus, le temps de retrouver le calme dans ma tête d’ado…
    Sport passion!

  2. Le problème est double.

    D’une part les étapes sont devenues stéréotypées (de quand date la dernière échappée ayant soufflé la victoire de peu au peloton ?). Le débat des oreillettes n’est à mon avis pas le bon : sur les courses sans oreillettes (elles sont majoritaires, seules les plus grandes courses du calendrier y ont le droit) les scénarios sont tout autant convenus d’avance, toutes les équipes ayant la même stratégie et un groupe fort autour de leur leader. Les courses de deuxième niveau n’ont pas beaucoup plus de saveur que les courses de premier rideau. Même sans oreillettes, quand la consigne du briefing matinal de l’équipe est de ne pas répondre aux attaques et de rester bien calé à 450w sans lever les fesses de sa selle, la course a la même physionomie.

    L’autre phénomène, c’est effectivement que les commentateurs sont devenus incapables de faire vivre des émotions. Ils récitent des fiches sur le palmarès des coureurs et ils constatent des écarts. Tout est monocorde, sans saveur. Quand il y a une attaque, le ton montre d’ores et déjà qu’ils savent que le fugueur va être repris. Et ça, ça ne fait pas rêver. Le fait que le grand public se mette à raconter n’importe quoi, à faire des calculs pseudos-scientifiques, à avoir des doutes sur tout ne vient pas spécialement des médias : en France on a des milliers de personne pour critiquer les bénévoles, mais personne pour devenir bénévole. Médias ou non, cyclisme ou non, le grand public commente désormais tout et n’importe quoi sans forcément s’y connaitre. Les gens ne vérifient plus les informations (une photo qui circule, un temps d’ascension, …) et tirent des conclusions sans vérifier si la source est véridique ou non.