Vers une saison ultra… raisonnable

Il y a un peu plus d’un mois, l’aventure de la Race Across France Challenge s’arrêtait après 700 km sur les 1000 au programme. Avec le recul, cet abandon aura été salutaire car au delà de rechercher à tout prix les raisons qui m’ont amenées à mettre définitivement pied à terre, j’ai pris conscience qu’une telle issue était inéluctable.

Depuis 4 saisons, j’enchaîne des sorties et des épreuves sur des distances supérieures à 400 km à un rythme soutenu sans réelle notion d’objectif. Je saisis chaque opportunité qui se présente en maintenant un niveau médian qui me permet de les gérer sans difficulté apparente. Tout est très linéaire, tout semble parfaitement maîtrisé et sous contrôle mais le 29 juillet dernier, cette mécanique qui semblait si parfaite s’est soudainement grippée puis a calé. J’ai évoqué un coup de chaud, un plat de bolognaise trop épicé, un manque d’hydratation. Mais les causes de cet abandon n’étaient pas à rechercher dans les heures le précédent mais bien plus loin, beaucoup plus loin. J’ai atteint les limites d’une absence de maîtrise de ma pratique alors même que certains me considèrent comme quelqu’un de relativement « sage ». Et pourtant…

Comme tant d’autres, j’ai du mal à résister face à la densité des événements longues distances et à l’émulation venue des réseaux sociaux, Facebook principalement, dont ma liste de contacts est composée à 95% de cyclistes.

Comment échapper à la tentation ou même penser à autre chose qu’au vélo lorsque l’on est bombardé d’images, de récits, de statistiques et de tout un tas de messages qui ne tournent qu’autour de l’univers cycliste ?

J’avoue commencer à en avoir presque la nausée et par 2 fois, j’ai essayé de prendre du recul en m’éloignant de Facebook, de ces fameux « j’aime » et autres commentaires du type « Bravo champion, machine, ne lâche rien… » dont la multiplication finit par banaliser les performances (toutes proportions gardées et sans aucune prétention de ma part).

Alors oui, je dois bien admettre que je n’ai pas su prendre le recul nécessaire face à cette petite fenêtre virtuelle devenue envahissante et chacune de mes tentatives d’éloignement de Facebook n’aura finalement été que de courtes éclipses. Je me suis alors laissé prendre à mon propre piège, en n’étant moi-même pas le dernier à entretenir une certaine surenchère dans ma pratique sportive jusqu’à avoir un décalage entre un discours plutôt « sage » et des actes parfois non raisonnés. Compte tenu de ce qu’implique comme concessions la pratique des longues distances, la spirale dans laquelle je suis tombée ne pouvais que me conduire à qui m’est arrivé sur la RAF 2019.

Plusieurs signaux auraient dû me faire réagir mais il n’en fut rien, persuadé que j’étais devenu indestructible, capable d’enchaîner des sorties de plus de 24 heures sans éprouver le besoin de laisser le temps à mon corps de se régénérer. Le tout conforté par les commentaires enthousiastes et les multiples « kudos » reçus chaque fois que je publiais une activité sur Strava. Des kudos donnés d’ailleurs souvent sans réellement fondement car aussi bien attribués pour une sortie vélotaf de 10 km que pour un raid de 600 km en autonomie…

Parmi les signes annonciateurs d’un emballement non maîtrisé, je retiendrai aussi la difficulté que j’ai eu depuis la fin de la saison 2018 à maintenir mon poids de forme. J’ai clairement relâché mon attention sur mon alimentation en éprouvant le besoin de compenser les efforts consentis pendant des mois et des mois. Le verdict de la balance a été implacable mais je n’ai pas su pour autant trouver la volonté nécessaire à l’amorce de la saison 2019 pour rectifier le tir de manière progressive. J’ai donc évolué jusqu’à la RAF en étant 8 kilos au dessus de mon poids de forme (70 kg), des kilos supplémentaires auxquels se sont ajoutés ceux liés à un phénomène de rétention d’eau difficile à endiguer. Pour autant, je n’ai pas forcément eu le sentiment d’être pénalisé par cet excès de poids, maintenant un niveau de performance relativement similaire aux saisons précédentes, soumettant ainsi à mon corps des efforts beaucoup plus impactant et générant une fatigue plus importante.

Là aussi, j’aurai dû tenir compte de ma difficulté à me lever le matin alors que j’ai l’habitude d’être un matinal, voir d’être très matinal. Mais encore une fois, tant que ça passait, je restais sur cette fausse impression de maîtrise alors que j’avançais sur la route du déclin. Plusieurs fois, il m’est arrivé de penser à l’abandon, par manque d’envie tout simplement, qu’il s’agisse lors de l’Ultra Cycling Challenge PACA ou lors d’un BTR certes éprouvant mais dont j’avais plutôt bien su éviter les caprices de la météo. A chaque fois j’étais pourtant parvenu à rebondir, à retrouver l’énergie suffisante pour terminer, fort honorablement au passage, mais là encore, au prix d’une débauche d’efforts, notamment sur le plan mental, que je n’avais pas réellement mesurés.

Mon abandon sur la RAF a été d’autant plus difficile à accepter que je n’ai pas su me rendre compte que je commençais à vaciller depuis plusieurs mois. Je me suis toujours cru capable de continuer, convaincu de disposer des ressources physiques et mentales pour m’affranchir des pires situations. Ce brusque renvoi à la réalité, même s’il m’a affecté sur le coup, a pourtant rapidement laissé place à une étrange sérénité, comme si j’étais soudainement soulagé d’une pression trop lourde à porter.

Accepter la défaite est finalement une sorte de victoire sur soi. Oublier le regard et le jugement des autres et revenir à l’essentiel : penser avant tout à soi-même plutôt que de cultiver son avatar.  

J’ai passé un mois d’août à me ressourcer, à profiter pleinement de ma famille à laquelle je m’échappe sans doute trop souvent, effectuant tout juste 500 km alors que les mois précédents j’en faisait pratiquement 4 fois plus. J’ai retrouvé le plaisir de prendre le vélo pour ne rouler qu »une petite heure alors qu’auparavant il me semblait inconcevable de sortie le vélo pour moins de 5 heures. J’ai rayé de mon agenda un certain nombre de dates que j’avais cochés et j’ai eu le sentiment de revivre. Paradoxalement, sans être plus rigoureux sur mon alimentation, mes kilos en trop ont progressivement disparu et avec eux mes soucis de rétention d’eau.

Une nouvelle façon d’aborder ma pratique des longues distances s’est progressivement dessinée et c’est avec un nouvel état d’esprit que je me projette sur 2020 avec une approche renouvelée et des ambitions sportives différentes. Fini l’enchaînement inconsidéré des heures de selle, place à la qualité ! Un virage déjà tenté en 2018 mais que je n’ai pas su garder, emporté par ce satané naturel qui revient si souvent au galop.

Je fais donc le voeux que l’année 2020 soit enfin celle d’une pratique de l’ultra… raisonnable. Pas plus d’un objectif principal avec des ambitions situées au delà du « simple » fait d’être finisher. Une approche en termes de « préparation » beaucoup plus progressive et davantage axée sur l’élévation de mon niveau de performance. Jusqu’à présent, je maintenais un niveau relativement constant sur toutes les épreuves que j’enchaînais avec comme conséquence un nivellement vers le bas de mes capacités physiques.

Pour 2020, l’objectif sera d’atteindre un réel pic de forme sur l’épreuve qui constituera le sommet de ma saison. C’est risqué, j’en ai conscience car je peux me louper, mais en même temps c’est une source de motivation excitante. Les longues sorties en mode ultra-diesel seront donc moins nombreuses pour privilégier une préparation permettant de supporter des intensités plus élevées. Moins de vélo mais mieux de vélo pour reprendre une expression que j’ai déjà employée et surtout, pour ne pas avoir une vie, notamment familiale, qui ne s’organise qu’autour du vélo.

Les bases de la saison 2020 étant posées, il me reste désormais à déterminer ce qui en sera l’objectif majeur pour ajuster ma montée en puissance en conséquence. Et bien entendu, je ne me laisserai influencé par personne pour faire ce choix… Qu’on se le dise !

https://soundcloud.com/ultratalk/14-patrick-gilles-je-navais-jamais-connu-cela-avant-cyclonaute

2 comments

  1. Un récit qui pour moi ne laisse aucun doute, et je sais de quoi je parle, il est difficile d’en guérir totalement (comme toute les addictions dailleurs) : BIGOREXIE. Bon courage.

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