Lundi 12 septembre, le soleil se lève sur le 4e jour de ce périple riche en émotions qui s’achèvera d’ici quelques heures dans ma chère bonne ville de Privas d’où je me suis élancé vendredi.
Que de kilomètres parcourus, de villes et villages traversés, de rencontres et soutiens chaleureux qui m’ont marqués et que je ne suis pas prêt d’oublier.
J’ai souvent senti l’émotion monter en moi, à plusieurs reprises, seul, dans cette fameuse bulle où je me plais à me retrouver, j’ai senti les larmes couler sur mon visage. J’ai pensé maintes au combat que mènent tant de parents, souvent seuls, pour trouver en vain une place pour un fils, une fille et qui, épuisés par des années d’espérance finissent par accepter l’intolérable exil forcé vers la Belgique. A l’heure où j’écris ces lignes je ne sais pas vraiment quel sera la portée de cet acte symbolique que j’avais à coeur de réaliser mais il m’a convaincu de la nécessité de m’impliquer autant que je le pourrai aux côtés des associations qui revendiquent une meilleure prise en charge en France des personnes handicapées mentales. A l’issue de ce raid, je rejoindrai donc l’ADAPEI de l’Ardèche pour prolonger mon engagement au delà des 1400 km de cet aller et retour en Belgique.
Contrairement aux jours précédents nous nous sommes accordés un réveil un peu moins matinal pour cette dernière étape qui ne compte “que” 275 km. Une broutille au regard de tout ce qui a été fait jusqu’à présent !
Plus tard dans la journée, j’aprècierai de savoir qu’il n’y a “que” ces quelques à parcourir…
Mais pour l’heure, je prends pour la 4e et dernière fois un rapide petit déjeuner en compagnie de Roland et de Christiane. Valex passe discuter un peu avec nous avant de partir travailler alors que je finis de me préparer pour remonter en selle. Je constate assez rapidement que le vent est déjà sensible et qu’il va souffler dans le sens opposé à ma destination…
Il est 8 heures lorsque je m’élance pour la dernière ligne droite de mon périple et j’ai déjà une demie-heure de retard sur ma feuille de route car j’étais convaincu d’avoir fixé mon départ à 7h30 ! ça m’apprendra à négliger mon propre road-book ! Mais après tout, je ne suis pas à une demie-heure près.
Dès les premiers kilomètres je prends rapidement conscience que cette ultime étape ne sera pas aussi simple à négocier que ce que pourrait le laisser penser son profil. Le vent du sud est particulièrement sensible et les jambes ne tournent pas aussi bien que les jours précédents. J’ai la sensation de butter sur un obstacle invisible; je peine à me mettre en danseuse pour relancer l’allure. Aucun doute possible : pour la première fois depuis le début de cette aventure je suis dans le dur. J’essaie d’oublier la vitesse qu’affiche mon compteur et de trouver un moyen pour me changer les idées mais rien n’y fait. Je me sens à l’arrêt comme perdu au milieu du flot des voitures et des camions qui me frôlent parfois de très près. Qu’ils vont être longs ces 275 kms…
Au bout d’une vingtaine de kilomètres, à la faveur d’un secteur un peu moins exposé au vent je tente de me reprendre. L’allure redevient un peu plus honorable et petit à petit je sens que le coup de pédale se fait plus rond. Mais tout cela reste très laborieux et très précaire. Après environ 40 kilomètres, je me laisse tenter par la terrasse d’une boulangerie située au bord de la route. Jamais je ne m’étais arrêté si tôt mais j’éprouve réellement le besoin de manger et de manger salé avant tout. Un sandwich jambon beurre fromage fera donc l’affaire avec une canette de coca. A ce moment précis j’oublie tout. Qu’importe le nombre de kilomètres parcourus, la moyenne, le planning de ma feuille de route… j’ai besoin d’un break. Je ne sais pas vraiment combien de temps je vais mettre pour manger mon sandwich mais lorsque je repars je me sens mieux, plus serein, davantage motivé pour affronter ce satané vent qui semble se renforcer au fur et à mesure que je gagne le sud.
Enfin j’arrive à Mâcon que je traverse sans problème particulier. Villefranche sur Saône est mon prochain objectif. Les sensations sont meilleures mais le vent demeure un sérieux adversaire. Bien décidé à ne rien lâcher, je vais chercher au plus profond de moi tout ce qu’il me reste d’énergie pour maintenir un rythme suffisamment soutenu me permettant d’envisager une arrivée à Privas aux environs de 20 heures. Je compte notamment sur le renfort de Jacques après Lyon pour y parvenir.
Peu avant Chalon sur Saône j’éprouve à nouveau le besoin de manger quelque chose de salé et me voilà à nouveau en quête d’une boulangerie que je ne tarde pas à trouver. J’ai à peine fait 100 kilomètres et j’en suis déjà à ma deuxième pause…
Roland et Christiane qui m’ont rattrapé avec le camping-car s’arrêtent eux aussi et décident de manger avec moi. J’avale mécaniquement mon deuxième sandwich du jour, refait le plein de mes bidons et remonte une nouvelle en selle après une pause qui finalement n’aura pas été très longue.
Je repars avec la ferme intention de ne plus m’arrêter aussi fréquemment sous peine d’arriver bien plus tard que prévu à Privas.
J’empoigne mes prolongateurs, essaie d’adopter autant que possible une position offrant le moins de résistance au vent et je reprends ma route en direction de Lyon. La chaleur est de plus en plus présente alors que le vent me dessèche la bouche. Je ne cesse de boire et de m’asperger pour avoir une petite sensation de fraîcheur mais c’est peine perdue.
Alors que je me rapproche de Lyon, je commets une petite erreur à la sortie de Anse qui au lieu de me ramener le long de la Saône me conduit en direction de Lisieux. Cela me vaudra un petit crochet de quelques kilomètres supplémentaires mais je ne suis plus à ça près !
Revenu le long de la Saône, je commence à retrouver un terrain que je connais un peu plus alors que mon coup de pédale est enfin plus efficace. Ragaillardi, je sens que j’ai retrouvé une belle efficacité et j’atteins enfin Lyon avec un réel soulagement. Certes j’ai encore de la route à faire mais je sens que je commence à toucher au but et que la délivrance est pour bientôt.
Je traverse Lyon par les quais de Saône que je j’emprunte régulièrement lors de mes séances de marche à la pause du déjeuner. En peu de temps me voici au Pont de la Mulatière puis à l’entrée de Pierre Bénite où je retrouve enfin Jacques, mon sauveur ! Tous les voyants repassent alors au vert. Je me cale dans sa roue et nous voilà reparti en direction de Givors ou Roland et Christiane nous attendent pour refaire le plein des bidons.
Après cet arrêt express, Jacques va littéralement se dépouiller pour me ramener dans un fauteuil jusqu’en Ardèche. Malgré le vent défavorable il fait preuve d’une solide résistance et assure un tempo qui tombe rarement en dessous de 35 km/h.
Au pied de la montée de Saint Pierre de Boeuf, Marc Lalande vient apporter du soutien à Jacques et assure des relais efficaces. De les voir tous les deux dépenser autant d’énergie pour moi me touche profondément et j’espère avoir l’occasion de leur rendre la pareille dès que l’occasion se présentera. Mais pour l’heure, j’avoue que je me contente de rester bien à l’abri même si je sens que les sensations sont nettement meilleures que ce matin.
Nous arrivons finalement à Tournon vers 17h30 ce qui permet d’envisager de rejoindre Privas sur les coups de 20 heures. Après l’énergie qu’il a dépensé, Jacques va nous laisser ici non sans nous avoir offert un verre de coca à la terrasse d’un café.
C’est désormais en compagnie de Marc que je vais effectuer les derniers kilomètres de ma folle aventure. A chaque coup de pédale Privas se rapproche : Soyons, Beauchastel, La Voulte et enfin Le Pouzin. Cette fois c’est gagné ! Parties m’attendre à Privas, Delphine et Coralie m’ont doublé à grand coup de klaxon peu avant la Voulte. Tout s’accélère dans ma tête. J’ai envie de rire et de pleurer en même temps.
Il ne reste plus qu’à remonter la vallée de l’Ouvèze et je toucherai enfin au but. La proximité de l’arrivée me redonne une énergie venue de nul part et j’assure désormais moi-même le tempo. A Flaviac, mon oncle et ma tante sont aux bords de la route pour m’encourager. J’ai l’impression de vivre un rêve, je n’éprouve plus aucune douleur, je relance énergiquement l’allure à chaque fois que je mets en danseuse. J’éprouve à ce moment précis des sensations de plénitude et de facilité déconcertantes. Qu’ils sont loin les moments de doute que j’ai pu avoir au début de cette ultime étape….
Nous voici maintenant au pied de la dernière difficulté, la fameuse montée de Coux que je connais comme ma poche. Je l’avale sans réelle difficulté, tout comme la montée des mobiles. Cette fois ça y est, la délivrance est au bout. Après 4 jours et 1400 kms parcourus me voici de retour sur la place du Champs de Mars où ma famille et quelques amis m’attendent. Je pose une dernière fois le pied à terre, appuis ma tête au creux de mes bras sur mes prolongateurs et laisse l’émotion m’envahir…
Ce que je ressens à ce moment précis est difficile à décrire. Des tonnes de flashs me traversent l’esprit comme si je revoyais à vitesse accélérée le film de ces 4 derniers jours. Je tarde à me redresser pour remercier toutes celles et ceux qui m’ont attendus et je mets un certain temps à redescendre définitivement de mon vélo. Je vis quelque chose de très fort sur le plan émotionnel et j’ai encore du mal à réaliser que je suis arrivé au terme de cette aventure à laquelle je tenais et que je dédie tout particulièrement à mon frère Jean-Michel. J’aurai tant aimé l’avoir à mes côtés ici même, non loin de la maison de notre grand mère où nous avons grandis tous les 2. Aujourd’hui il se trouve dans un foyer à Valgorge dans le sud Ardèche. Mais comme d’autres, il aurait tout aussi bien pu se retrouver en Belgique à plus de 700 km de Privas.
C’est cet éloignement que subissent trop de familles de personnes handicapées que j’ai voulu symboliser en accomplissant cet aller et retour entre Privas et Saint Médard. Un périple de 1400 km pour dire stop à l’exil forcé vers la Belgique. Quelle sera la portée de mon geste ? J’avoue ne pas trop le savoir. Mais si j’ai au moins pu faire prendre connaissance de ce véritable problème de société à quelques personnes qui l’ignoraient, je ne l’aurai pas fait pour rien.
Merci encore à toutes celles et à tous ceux qui m’ont fait part de leur soutien et qui m’ont accompagnés durant plusieurs kilomètres comme Jacques, Gilles, Marc, Michel, Alain, Thibaut et Miguel. Je ne n’oublierai jamais votre présence à mes côtés.
Je terminerai par un énorme remerciement à mon oncle Roland ainsi qu’à Christiane qui ont partagé ces 4 folles journées en ma compagnie. Je leur dois la réussite de ce raid.