Lorsque j’enfourche mon vélo ce vendredi 10 septembre à Privas, j’avoue ne pas trop savoir dans quel aventure je m’engage mais j’ai la ferme intention d’aller au bout d’un challenge qui me tient extrêmement à cœur. Rallier la préfecture de l’Ardèche à Saint Médard, petite bourgade belge à quelques kilomètres de la frontière et revenir à Privas au terme de 1400 km est certes un défi sportif, mais c’est aussi et surtout un acte symbolique pour dénoncer une situation intolérable qui me touche tout particulièrement.
Depuis des années, faute de place en France, de nombreux handicapés mentaux sont en effet contraints à un exil forcé vers la Belgique où un véritable business s’est développé autour de l’accueil de ceux que l’UNAPEI appelle les “Bannis de la République” dans une campagne choc lancée fin 2015. Cautionné implicitement par les instances sociales en France qui y trouvent un intérêt financier au regard des économies réalisées, cet exil forcé vers la Belgique concerne aujourd’hui plus de 6500 adultes et enfants handicapés. Synonyme de rupture familiale difficilement supportable, cette situation est hélas bien trop peu méconnue et bien trop peu considérée comme un problème à traiter.
Étant moi-même confronté à cette difficile et usante épreuve pour trouver une établissement d’accueil pour mon frère, j’ai donc tenu à réaliser un acte symbolique pour illustrer et dénoncer cet exil forcé vers la Belgique.
Certes, après des années d’attente, mon frère a pu être accueilli dans un établissement relativement proche du domicile de mes parents, mais il aurait très bien pu lui aussi se retrouver en Belgique à plus de 700 km de Privas. Un exil forcé aux conséquences morales éprouvantes pour ses proches ainsi privés de visites régulières.
Aussi, en prenant la direction de Saint Médard où se trouve une de ces “usines à français” qui désignent ces établissements privés qui ont fleuri depuis une dizaine d’années en Belgique pour accueillir les adultes et enfants handicapés sans solution d’accueil en France, je me mets dans la peau de celui qui coûte que coûte ira rendre visite à son frérot dont la séparation est considérée comme une injustice. Rien ne pourra arrêter ma détermination et je mettrai un point d’honneur à effectuer les 1400 km de cet aller et retour le temps d’un long week-end de 4 jours.
J’ai pour moi une solide condition physique et un moral d’acier. Ce raid, que j’ai symboliquement appelé le raid de l’exil, a suscité un élan de solidarité de la part de la communauté cyclo avec laquelle je suis en contact sur les réseaux sociaux. Les nombreux messages de soutien et d’encouragement que j’ai reçus avant, pendant et après mon périple m’ont particulièrement touchés. Au delà des messages, certains ont même tenu à m’accompagner pendant quelques kilomètres pour me témoigner leur soutien. Qu’il s’agisse de Marc, de Jacques, de Gilles, de Michel ou encore de mes amis belges Alain, Miguel et Thibaut, leur présence à mes côtés a été un réel réconfort et un réel soutien. De même que les rencontres furtives avec Brigitte et Christophe du côté de Saint Romain en Gal ou encore Maurice au bord de la route à Cornas lors de mon passage. Je n’oublierai pas ces signes de soutien. Pour autant, j’ai aussi apprécié les longues heures de solitude que j’ai passées à pédaler, seul, dans ma bulle, loin de certaines futilités du quotidien mais plus que jamais proche de mon frère, de mes parents, de ma femme Delphine et de notre fille Coralie que j’ai emmenées avec moi dans mon coeur.
Je ne saurai enfin que trop remercier mon oncle Roland et Christiane qui ont partagé cette aventure avec moi en m’accompagnant avec un camping car transformé en parfait véhicule d’assistance. Les nuits furent très courtes et malgré l’exiguïté de l’espace, nous avons partagé des moments forts chaleureux.
L’heure du grand départ
C’est donc de Privas, à 7h15 que je me suis mis en selle pour une première étape de 400 km devant me conduire jusqu’au nord de la Bourgogne, à Véronnes, village situé pratiquement à mi-chemin de Dijon et de Langres. Quelques amis sont venus me souhaiter bonne route alors que Marc Lalande et Gilles Serein vont rouler à mes côtés pratiquement jusqu’à Lyon. La météo est au beau fixe et le restera tout au long des 4 jours de mon périple.
Les premiers kilomètres font office de mise en jambes avant de rejoindre les bords du Rhône que nous longerons jusqu’à Lyon. Une remontée au cours de laquelle un petit vent de nord tente timidement de jouer les troubles fête. Mais avec le renfort à l’approche de Tournon sur Rhône de mon fidèle compagnon de route Jacques Barge avec lequel j’ai déjà partagé tant d’aventure, le mistral n’aura pas le dernier mot !
Jusqu’à Lyon je roule en terrain connu puisqu’il s’agit de l’itinéraire que j’emprunte souvent en mode “velotaf”. Mais cette fois, je vais poursuivre ma route bien au delà de la confluence du Rhône et de la Saône où Jacques est le dernier à m’accompagner.
Seul désormais, enfermé dans ma bulle, les kilomètres vont défiler. Pour être honnête je n’appréhende pas cette solitude à laquelle je suis de toute façon habitué. Au contraire, je l’apprécie et la recherche même. Elle me sert d’exutoire. J’y cultive mon jardin secret, mon “moi” et mon “soi” y entrent en résonance. Si certains marchent pour trouver la paix intérieure, moi je pédale donnant ainsi tout son sens à ce que disait Albert Einstein : “La vie, c’est comme une bicyclette, il faut avancer pour ne pas perdre l’équilibre”.
Et pour avancer j’avance ! Je traverse sans encombre Villefranche sur Saône, Macon puis Chalon sur Saône sans voir le temps passer. Comme souvent, une fois atteint le cap des 150 premiers kilomètres, j’ai la sensation d’avoir trouvé le bon tempo et de pouvoir ainsi avaler les kilomètres des heures durant.
A Seurre, alors que j’ai déjà parcouru plus de 320 km, il est temps de m’équiper pour la nuit qui tombe désormais rapidement à cette période de l’année. J’en profite pour effectuer un ravitaillement un peu plus conséquent et une fois paré à affronter les 80 derniers kilomètres de cette première journée, je me remets en selle. Je ne tarde pas à éclairer mes lampes alors que Roland et Christiane vont désormais me suivre afin que je puisse bénéficier des phares du camping car.
Je roule sans trop savoir où je passe me fiant simplement à mon GPS qui m’indique la direction à prendre. Le mode pilote automatique est enclenché ! Je progressons dans la campagne bourguignonne en maintenant un solide tempo malgré l’accumulation des kilomètres. La nuit est désormais bien installé et ce n’est qu’à 5 kilomètres du but que nous allons enfin voir un panneau indiquant Véronnes, terme de cette première étape rondement menée.
Lorsque je descends de mon vélo pour la dernière fois de la journée, il est déjà demain ! Il en effet un peu plus de minuit lorsque nous nous installons sur un petit terre plein dominé par la masse sombre de l’église du village. Cet emplacement semble tout juste fait pour nous ! J’avale un bol de soupe, mange 3 pâtes puis après avoir fait un petit brin de toilette express me glisse dans mon duvet pour quelques heures avant de reprendre la route à 7 heures.
Acte 2/2 >>
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