Cette année 2016 est assurément celle qui marque un tournant dans ma pratique cycliste. Ma quête perpétuelle de nouveaux horizons, ma soif d’aventure et de chevauchées au long cours m’éloignent inexorablement d’une pratique « conventionnelle ». La découverte de cette nouvelle manière de pratiquer un sport qui m’apporte tant sur le plan personnel n’est finalement qu’une suite logique dans mon parcours. Assoiffé de liberté et de grands espaces sans renier pour autant la recherche d’une certaine forme de performance, je franchis donc saisons après saisons de nouveaux paliers qui me conduiront là où mes limites physiologiques et mentales seront capables de m’emmener. Loin de toute pression, j’évolue désormais dans un univers cycliste aux frontières imprécises où je côtoie d’authentiques sportifs, de doux rêveurs, parfois même quelques poètes des mots ou de l’image. Tous en commun une certaine touche de sensibilité et une histoire bien particulière avec le vélo.
Bien plus qu’un raid cycliste, un voyage initiatique
A l’occasion de Vézelay – Barcelone, 5e opus de la série des Born To Ride initiée avec brio par Luc Royer, j’ai sans nul doute franchi encore un nouveau palier, une sorte de voyage initiatique qui revêt sous certains aspects une dimension spirituelle. Il faut dire que le décor s’y prêtait ! Partir au beau milieu de la nuit depuis un haut lieu de pèlerinage pour rallier en seulement quelques heures l’étrange et mystérieuse Sagrada Familia au cœur de Barcelone ne pouvait me laisser insensible. Ajouter à cela des passages obligés en guise de points de contrôle par les cathédrales de Clermont Ferrand, du Puy en Velay, de Montpellier et de Perpignan et vous comprendrez que ce Vézelay – Barcelone était bien plus qu’un raid cycliste.
Au cours des longs mois qui ont précédé ce départ tant attendu, je me suis souvent projeté sur ces routes avec l’intime certitude que rien ne pourrait entraver ma marche en avant. Cela peut paraître prétentieux mais c’est ainsi. A chaque fois que je m’engage dans l’inconnu, je me plais à vivre par anticipation les sensations que j’espère y trouver. Mon cerveau ayant la bonne idée d’occulter tout ce qui serait de nature à me compliquer la tâche, j’aborde chacune de ces épreuves avec sérénité tout sachant faire preuve d’humilité.
Minuit, l’aventure peut commencer
A minuit, lorsque Luc Royer nous libère au pied de la rue montant jusqu’à la basilique de Vézelay, je ne fais même plus cas de la fine bruine qui rend le pavé luisant. Je suis dans ma bulle, près à affronter les 1000 kms qui nous séparent de Barcelone. Je me sens totalement détendu, confiant et serein malgré cette distance que je n’ai encore jamais réalisée dans un tel délai…
Avant ce grand départ, la journée de vendredi a permis à chaque concurrent et à Elisabeth, l’unique concurrente de se mettre progressivement dans l’ambiance dans une atmosphère chargée d’humidité et orageuse. Les vérifications techniques et administratives faites, les dernières heures nous séparant de minuit ont été l’occasion de rencontrer ceux avec qui depuis plusieurs semaines nous échangions sur les réseaux sociaux à propos de ce fameux Vézelay Barcelone. Des visages remplaçaient enfin des pseudos, des personnalités se révélaient. Les sujets de conversation ne manquaient pas : options retenues pour le parcours, équipements, préparation, objectifs, partage d’expériences passées… Une manière de rentrer petit à petit dans ce Born To Ride 2016.
Vers 20h, Luc Royer, maître de cérémonie, nous invitait à placer nos vélos dans le « parc fermé » au pied de la montée vers la basilique de Vézelay pour ensuite aller partager un dernier repas en commun alors que la nuit tombait progressivement et que la pluie faisait son apparition. A 22h30, au moment du briefing elle était toujours présente, bien décidée visiblement à nous accompagner jusqu’au départ.
A minuit pile, Luc donnait enfin le départ pour cette grande aventure de 1000 km jusqu’à Barcelone.
Les premiers kilomètres furent rondement menés sur les routes vallonnées du Morvan. Sans me soucier de ce qui m’attendait je me prenais au jeu de rester dans le sillage des premiers concurrents emmenaient par Alex Bourgeonnier, brillant second de la TCR en 2015, venu chercher sur ce BTR des réponses à tant de questions qui occupaient son esprit depuis plusieurs semaines. Il finira par les trouver en chemin du côté du Puy en Velay…
Au bout d’une vingtaine de kilomètres, la raison finit cependant par l’emporter et je relevais un peu le pied pour attendre mon ami Jacques.
Cette courte nuit se passa sans encombre malgré 2 ou 3 fortes averses et le petit jour pointait déjà le bout de son nez alors que nous longions les bords de l’Allier à la sortie de Moulins.
Le ciel semblait vouloir se dégager après le passage de la perturbation orageuse de la veille. Hélas, alors que nous nous dirigions vers Saint Pourçain sur Sioule, c’est tout le contraire qui se produisit et pendant près de 70 kilomètres nous allons devoir affronter une pluie soutenue qui comme par enchantement cessera à l’approche de Clermont Ferrand.
Il était un peu plus de 9h du matin lorsque le premier point de contrôle situé sur le parvis de la cathédrale Notre Dame de l’Assomption fut atteint. L’occasion de s’accorder une pause pour boire une boisson chaude et faire le point sur la suite du parcours en direction du Puy en Velay.
Clermont – Le Puy, le bonheur est dans les prés…
Cette seconde section fut entièrement réalisée sous un chaud soleil. L’option que j’avais prise au niveau du parcours entre Clermont et Brioude empruntait des routes particulièrement agréables au profil tout en rondeur avant de retrouver la RN102 et son flot de véhicules entre Brioude au Puy en Velay.
Les kilomètres commencent à s’accumuler lorsque j’arrive au Puy en Velay en milieu d’après midi et le cap du tiers de l’épreuve est franchi, ce qui signifie qu’il reste encore quelques 600 km avant d’en terminer… L’ultra-distance est réellement un autre univers !
Au Puy en Velay, l’ambiance est festive au pied de la basilique qui sert de cadre à l’arrivée du grand trail du Saint Jacques. Pas évident de se faufiler pour atteindre le parvis d’autant que les ruelles aux pavés disjoints et aux forts pourcentage n’arrangent rien. Je me hasarde à prendre des rues moins pentues afin de pouvoir faire le seflie attestant de mon passage par ce second point de contrôle.
Je redescends ensuite au pied de la basilique pour attendre Jacques à la terrasse d’une boulangerie où j’en profite pour faire pointer mon carnet de route.
Il est aux environs de 17h30 lorsque nous reprenons la route avec comme objectif de faire une pause à Langogne pour casser la croûte avant d’attaquer la seconde nuit. Contrairement à mon passage en avril lors de ma reconnaissance de ce secteur, c’est un vent du nord favorable qui nous accompagne sur la RN88. On ne s’en plaindra pas !
A Langogne, le cap des 400 km est atteint et comme convenu nous effectuons une pause pour manger dans une petite pizzeria où je pensais trouver des pâtes. Mauvaise pioche, on m’annonce qu’il n’y a plus de pâtes à la carte. Je me laisse tenter par une crêpe jambon / œuf et là, seconde désillusion : plus de crêpe ! Je me résous donc à prendre une pizza sans réelle conviction…
Au cours de cet arrêt prolongé nous sommes rejoins par un concurrent qui va repartir avec nous et nous accompagner jusqu’à la Bastide Puylaurent. Là, nouvelle expérience pour moi : s’allonger sur un banc public pour dormir 15 minutes sur le parvis de l’église alors que la nuit vient tout juste de tomber… Surréaliste mais efficace !
Requinqués par ce micro sommeil nous reprenons la route en direction de Villefort au cœur d’une nuit relativement douce au cours de laquelle nous croiseront la route d’un lièvre, d’un renard et d’un blaireau.
Si physiquement l’accumulation des efforts ne se fait pas ressentir, j’éprouve cependant des difficultés à lutter contre le manque de sommeil. Je sens que je m’endors à plusieurs reprises et je finis par proposer à Jacques d’effectuer un nouvel arrêt pour dormir à nouveau 15 minutes à Génolhac. Ce nouvel arrêt me fera le plus grand bien et nous poursuivons notre progression vers Alès avec comme objectif d’arriver à Montpellier au petit matin. Hélas, à l’approche de Sommières, les signes d’endormissements font leur réapparition et nécessitent un 3e arrêt de 10 minutes. Nous ne sommes plus très loin de Montpellier mais il ne serait pas raisonnable de vouloir à tout prix atteindre ce 3e point de contrôle dans un état aussi vaseux. Cette 3e micro pause sera la dernière pour moi. Étrangement, je ne vais plus éprouver aucun signe de manque de sommeil jusqu’à l’arrivée à Barcelone.
De Montpellier à Perpignan, le royaume de la tramontane
Nous pointons à Montpellier peu avant 6h du matin et nous mettons le cap sur Perpignan.
Jacques éprouvant le besoin de souffler un peu, nous effectuons un arrêt petit déjeuner dans une boulangerie à l’entrée de Laverune. En remontant en selle, j’éprouve des sensations incroyables de facilité qui me surprennent compte tenu des efforts accumulés depuis plus de 24 heures. Pour être honnête, depuis le départ je n’ai encore jamais été dans le dur. Les jambes tournent bien et répondent à la moindre sollicitation quand il s’agit de relancer l’allure ou de passer les bosses que nous trouvons sur le parcours.
Pour rejoindre Perpignan, nous avons pris l’option d’éviter le bord de mer pensant que nous serions plus épargné par la tramontane. C’était bien mal connaître ce satané vent, aussi redouté que notre cher mistral en vallée du Rhône ! Face à cet adversaire coriace nous nous employons tant bien que mal à maintenir un rythme soutenu et c’est avec soulagement que nous arrivons dans la périphérie de Perpignan. Hélas, l’entrée dans la ville va être délicate faute de trouver une route non interdite aux vélos… Nous allons perdre une bonne heure à essayer de trouver le bon itinéraire pour aller pointer devant la basilique Saint Jean Baptiste, point de contrôle n°4.
Perpignan, Barcelone, le sprint final !
Avant de reprendre la route en direction de l’Espagne désormais toute proche, une pause casse croûte est nécessaire. Nous passerons finalement la frontière au Perthus à 18h30 et en entrant sur le territoire espagnol, l’euphorie s’empare de moi. Dans la descente qui mène à Figueras je chante à tue tête, j’ai envie de danser et j’éprouve le besoin de parler en… italien ! Il faut dire que je n’ai jamais pratiqué l’espagnol du coup, je prends la première langue étrangère qui me vient naturellement à l’esprit ! A cet instant j’ai bon espoir d’arriver à Barcelone aux environs de minuit soit 48 heures après m’être élancé depuis Vézelay. Mon objectif initial était de toucher au but vers 22 heures. C’était jouable je pense, mais j’ai préféré rester aux côtés de Jacques pour le soutenir jusqu’au bout de cette folle aventure.
A la sortie de Gérone, Jacques éprouve justement le besoin de souffler à nouveau et de se restaurer. La pause se prolonge et lorsque nous reprenons la route, je constate que notre arrivée à Barcelone se fera bien après minuit. Mais qu’importe, les notions de temps et de chrono ne sont pas la priorité dans ce périple même si j’avoue garder toujours un esprit de compétition en guise de motivation. L’essentiel pour l’heure est de permettre à Jacques de finir dans les meilleures conditions son périple.
Contrairement à ce que l’on pourrait croire, la fin du parcours ne se fera pas en pente douce jusqu’à la mer… Les bosses se succèdent les unes aux autres et un faux plat interminable nous conduit jusqu’à Collsabadel.
Il nous reste alors encore 50 km avant d’entrer dans Barcelone. Je suis incroyablement bien. Aucune envie de sommeil, aucune douleur musculaire et je prends un réel plaisir à passer ces bosses sans ménagement !
Bientôt nous apercevons les lumières des villes situées en périphérie de Barcelone mais la route semble interminable pour atteindre la capitale de la Catalogne. Puis vient la délivrance au moment de franchir Le Besòs. Cette fois nous y sommes ! Nous entrons dans Barcelone. Il est un peu plus de 3 heures du matin et dans quelques minutes nous seront au pied de la Sagra Familia, terme de notre aventure au long court commencée sous la bruine dans le Morvan. Un périple de 960 km réalisé en 53h.
Un avant et un après Vézelay Barcelone…
Quelle aventure en effet… Mais surtout que d’enseignements au terme de ce qui restera finalement pour moi un véritable voyage initiatique à la découverte de l’ultra-distance. Le corps humain est une formidable machine quand on sait bien l’exploiter, la préserver et l’écouter. Il est évident qu’il y aura pour moi un avant et un après Vézelay Barcelone. Je souhaite à tous ceux qui le peuvent de vivre de telles aventures en ayant ces sensation de liberté et de plaisir. La fin du voyage en est presque frustrante tant on souhaiterait qu’il se prolonge… J’éprouve finalement le même sentiment que les navigateurs qui rentrent au port et qui à peine les pieds à terre n’ont qu’une envie : repartir.
Je ne saurai terminer sans avoir quelques mots pour les 2 amours de ma vie, ma fille Coralie et ma femme Delphine que j’ai portées dans mon coeur tout au long du parcours.
Merci également à la start-up toulousaine Capturs qui m’a équipé d’un tracker GPS afin de suivre ma position tout au long de ma progression. Retrouvez ici le replay de ce magnifique périple.
Superbe Patrick,
Peu de gens ont cette faculté que tu possèdes, de boucler ce type de périple avec une facilité toute relative mais déconcertante …
Mais je n’ai jamais douté de tes capacités après avoir vu de mes propres yeux toutes les qualités du cycliste ultra que tu as démontrées lors du Tri-côtes.
A bientôt je l’espère, au 1000 du Sud je pense …
Ton récit m’a convaincu … Je serai probablement de la partie en 2017 !!!
Merci Patrick
Gilles