Tour du Mont Blanc 2014 : épopée mythique en 3 actes

20 juillet 2014, voilà une date que je ne suis pas prêt d’oublier et qui occupera longtemps une place à part lorsque sera venu le temps d’évoquer les grands moments de ma pratique cyclosportive.
De part ses caractéristiques, le Tour du Mont Blanc est déjà une épreuve à part, mais lorsque les éléments se déchaînent comme ce fut le cas pour cette 5e édition, on entre dans une autre dimension.

Depuis plusieurs jours la météo n’était guère optimiste sur les chances d’échapper à la pluie et aux orages après un court mais intense épisode de forte chaleur. Pourtant, contre toute attente, c’est sous un ciel simplement nuageux et par une température très agréable que le départ est donné des Saisies à 5h30 du matin pour une folle journée autour du Mont Blanc ou plus exactement une épopée mythique en 3 actes.

Départ imminent pour 330 km et 8000 m D+
Départ imminent pour 330 km et 8000 m D+

Acte 1 : entre gris clair et gris foncé

Avec le changement de parcours intervenu cette année, la première moitié de ce Tour du Mont Blanc s’annonce beaucoup moins difficile que la seconde. La suppression du col du Champex va en effet permettre aux concurrents d’arriver directement au pied du col du Grand Saint Bernard après la descente du col de la Forclaz. En revanche, le colle San Carlo situé avant le col du Petit Saint Bernard fait figure d’épouvantail.

Pour l’heure, il convient d’éviter les pièges de la descente du col des Saisies pour rejoindre ensuite Mégève et poursuivre vers Saint Gervais. Au fur et à mesure de la descente le jour se lève progressivement et laisse apparaître un ciel simplement nuageux. La pluie tant redoutée n’est donc pas au rendez-vous et personne ne s’en plaindra !

La côte de Vaudagne qui permet d’éviter la voie rapide qui conduit à Chamonix constitue la première difficulté de la journée. Une difficulté bien modeste au vu de ce qui se profile par la suite ! Parlons donc plutôt de « mise en bouche ». Une mise en bouche quelque peu indigeste en raison de l’état de la chaussée passablement dégradée et exceptionnellement ouverte au passage des concurrents du Tour du Mont Blanc compte tenu de son état.

Ce premier raidillon franchi, on poursuit notre route vers Chamonix dominé par le Mont Blanc que l’on aperçoit malgré de nombreux nuages.

A l’approche de Chamonix, je suis surpris par la vitesse à laquelle progresse le groupe dans lequel je me trouve. Nous sommes en effet tous en file indienne et le compteur flirte avec les 40 km/h. Ceux qui assurent le tempo ont-ils conscience de ce qui les attend ? Pour ma part, je préfère lever le pied et laisser filer avant d’aborder le col des Montets. Cette ascension courte et peu difficile va s’effectuer sous un timide soleil qui parvient à trouer un ciel simplement voilé. S’en suit une descente rapide vers Valorcine puis nous voici entré en territoire helvétique où la couverture nuageuse se densifie au fur et à mesure que l’on se rapproche du col de la Forclaz.

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En basculant en direction de Martigny on sent déjà que la météo ne va pas rester aussi arrangeante que ce qu’elle a été depuis le départ. Toutefois, les dieux du ciel nous auront épargnés pendant plus d’une centaine de kilomètres. C’est toujours ça de pris !

Alors que nous sommes sur le point d’achever la descente du col de la Forclaz, de gris clair le ciel est passé à un gris foncé qui n’annonce rien de bon pour l’ascension du col du Grand Saint Bernard. La pluie va effectivement rapidement faire son apparition sous forme d’averses très soutenues.

Au pied du col du Grand Saint Bernard j’aperçois au loin les membres du groupe qui filaient bon train à la sortie de Chamonix. Ils progressent désormais en ordre dispersé et je vais mettre à profit la première partie de l’ascension pour les reprendre un à un. La pluie ne me perturbe pas plus que ça et je prends un réel plaisir sur une pente qui présente des pourcentages qui me conviennent parfaitement. A la faveur des longs tunnels qui caractérisent cette longue ascension du Grand Saint Bernard j’accélère encore le rythme et revient sur 3 autres concurrents.

En quittant ces tunnels, le changement est radical. Le vent et la bruine ne vont plus nous quitter pour les 6 derniers kilomètres d’ascension qui affichent les plus forts pourcentages sur une route redevenue beaucoup plus étroite avec de nombreux lacets. Je suis moins à mon aise que dans la première partie de l’ascension et 2 concurrents que j’avais doublés précédemment finissent par revenir sur moi. Cependant, à voir la manière dont ils se déhanchent, je me dis qu’ils ne sont pas forcément plus à l’aise que moi. On se rassure comme on peut !

En approchant du sommet nous sommes progressivement enveloppés dans un épais brouillard qui réduit notre visibilité à quelques mètres seulement à tel point que le col franchi, c’est tout juste si l’on aperçoit au bord de la route le poste de ravitaillement où j’ai prévu, au cas où, d’enfiler des affaires chaudes avant de m’engager dans la descente sur Aoste. Après une petite hésitation je décide de me contenter de ma veste de pluie car la température ne me semble pas si fraîche que cela malgré ce brouillard à couper au couteau et cette petite pluie fine que l’on finit par ne plus ressentir depuis le temps qu’elle nous accompagne !

Près de 150 kilomètres ont été parcourus et il est donc temps de basculer vers la vallée d’Aoste pour s’attaquer à la seconde moitié de ce long périple autour du Mont Blanc.

Acte 2 : le calme avant la tempête

Après la longue descente du Grand Saint Bernard, la pluie cesse progressivement à l’approche de Aoste et l’atmosphère se réchauffe sensiblement. On entame alors la partie la moins agréable du parcours : la remontée de la vallée d’Aoste jusqu’à Morgex.

La route est désormais totalement sèche mais l’ambiance reste très lourde et on sent qu’à tout moment le ciel peut lâcher quelques goûtes. Avec le concurrent qui m’a rejoint à l’entrée de Aoste nous nous relayons régulièrement et profitons de cette longue portion de transition pour bien nous alimenter et nous réhydrater.

D’ici quelques kilomètres nous seront au pied du Colle San Carlo qui fait figure d’épouvantail avec une pente régulière qui ne tombe jamais sous les 10%, 10 kilomètres durant…

Passé le ravitaillement de la Salle le pied du San Carlo est désormais tout proche. A l’entrée de Morgex, on quitte la route qui mène à Courmayeur, puis on traverse la Doire Baltée et là, juste après être passé devant l’usine d’embouteillage des eaux minérales de Courmayeur, la route s’élève brusquement : l’heure de vérité a sonné.

C’est parti pour 10 kilomètres d’ascension du fameux colle di San Carlo dont la réputation n’est pas usurpée. La pente ne faiblit jamais, tout juste est-il possible de reprendre son souffle au gré des larges courbes qui jalonnent la montée. Mon compteur peine à se maintenir au dessus de 8 km/h mais qu’importe, l’important est de franchir cet obstacle sans y laisser trop d’énergie car la route est encore longue. Mon rythme est certes peu élevé mais ma progression est très régulière. Malgré la rudesse de la pente j’éprouve une indescriptible quiétude. Je me sens bien, parfaitement serein tout en ayant l’étrange impression d’échapper à la réalité sur cette route qui serpente en sous-bois dans un silence quasi religieux… De tels moments sont uniques et véritablement magiques. Ils viennent récompenser tous les efforts déployés durant de longs mois pour en arriver là.

Depuis le pied de cette ascension je suis suivi par un concurrent qui mètre par mètre grignote la distance qui nous sépare. Il lui faudra néanmoins toute la montée pour me rattraper. Il finit par revenir à ma hauteur à moins de 2 kilomètres du sommet et nous progressons un temps côté à côte sans échanger un seul mot, enfermés dans notre bulle.
Puis vient le moment de basculer vers le vallon de la Thuile une fois le sommet franchi. Le colle San Carlo n’est déjà plus qu’un souvenir, place désormais à l’ascension du Petit Saint Bernard.

La descente est rapide et présente quelques lacets serrés dans sa première partie avant d’être beaucoup plus rectiligne à l’approche de la Thuile. Le répit sera de courte durée mais les pourcentages du Petit Saint Bernard sont sans commune mesure avec ceux du San Carlo. J’ai même l’impression de monter très vite dès l’amorce des premiers hectomètres ! Cette sensation, confirmée par la vitesse du compteur qui varie entre 17 et 18 km/h se prolonge pendant près de 4 kilomètres avant que le profil ne se redresse un peu plus sans toutefois présenter de très forts pourcentages.

Au fur et à mesure que le sommet se rapproche la couverture nuageuse se fait de plus en plus dense. Les 3 derniers kilomètres vont s’effectuer dans le brouillard mais sur une chaussée qui demeure toujours sèche.

Au sommet du Petit Saint Bernard j’ai prévu de refaire le plein de gels et de barres énergétiques pour la fin du parcours. Malheureusement, le sac dans lequel j’ai déposé mes « réserves » est introuvable… 10 bonnes minutes vont s’écouler avant que l’on finisse par me l’amener. Je mets à profit cet arrêt prolongé pour effectuer quelques étirements et pour boire abondamment tout en restant toujours très calme et serein alors que le vent qui s’est nettement renforcé n’annonce rien de très bon pour la suite.

Les poches à nouveau pleine, je reprends ma route en direction de Bourg Saint Maurice. Dès les premiers mètres de la descente, le vent se fait particulièrement ressentir mais ne gêne finalement pas trop ma progression. Cette descente ne sera donc qu’une simple formalité.

Arrivé à Bourg Saint Maurice je quitte la veste de pluie que j’avais enfilée par précaution pour la descente au sommet du Petit Saint Bernard. L’ambiance est très lourde et très rapidement, les premières pentes du Cormet de Roselend se présentent à moi. Contrairement à l’an dernier, je vais nettement mieux négocier le pied de cet avant dernière difficulté, sans doute bien aidé par un vent favorable. Je reviens rapidement sur un puis 2 concurrents sans avoir besoin de trop m’employer.

A hauteur de Crêt Bettex, le profil s’adoucit très nettement et offre ainsi un répit appréciable. Le vent est toujours aussi sensible et comme par miracle, la couverture nuageuse est soudain devenue beaucoup moins épaisse, à tel point qu’elle finit même par laisser apparaître quelques coins de ciel bleu totalement inattendus. Puis comme par enchantement, le soleil est à son tour de la partie ! Rêve ou réalité ? Il y a de quoi se poser la question… Mais très rapidement, cette embellie aussi soudaine que surréaliste laisse place à un ciel de plus en plus sombre qui n’augure rien de bon. Vais-je connaître le même sort que l’an dernier où l’orage s’est abattu sur moi dans la descente sur Beaufort ? Non, ce sera pire…

Acte 3 : l’apocalypse…

Le vent déjà bien présent tout au long de la montée est particulièrement violent au sommet du Cormet de Roselend enveloppé d’un épais brouillard et où règne une ambiance très étrange de fin du monde qui n’invite pas à prolonger l’arrêt.
Tant bien que mal j’enfile ma veste de pluie en profitant de l’abri du coffre de la voiture suiveuse du concurrent qui vient tout juste de me rattraper et qui lui aussi s’équipe pour cette dernière descente dont nous ignorons encore qu’elle sera infernale.

Au moment où je reprends la route, le vent semble avoir redoublé de violence. En une fraction de seconde le brouillard disparaît et laisse place à une véritable nuée blanche qui remonte de la vallée et engloutit littéralement le paysage. Quelques centaines de mètres seulement après m’être engagé dans la descente, la pluie s’abat sur moi avec une violence inouïe et me fouette le visage. Très rapidement, la grêle prend le relais alors que les premiers éclairs déchirent le ciel. Les grêlons crépitent sur mon casque et font rapidement apparaître des marques rouges sur mes cuisses. J’empoigne avec fermeté mon guidon comme on s’accrocherait à une bouée de secours pour plonger en direction du lac de Roselend. La visibilité est réduite à quelques mètres alors que la route s’est transformée en torrent. De l’eau arrive de toute part charriant avec elle, terre, gravillons et cailloux. D’énormes blocs de pierres jonchent même le sol, m’obligeant alors à slalomer pour les éviter. Le bruit du tonnerre est assourdissant et les arbres se plient jusqu’à rompre sous la force du vent.

Je navigue en plein cauchemar maîtrisant tant bien que mal mon vélo dans ce véritable chaos. L’idée de m’arrêter ne m’effleure cependant pas un instant, mon seul objectif est de sortir de là au plus vite…

En arrivant aux bords du lac de Roselend, les éléments se calment quelque peu et m’offrent un peu de répit. J’en profite pour relancer énergiquement l’allure avant d’aborder la seconde partie de la descente qui conduit vers Beaufort. Une descente qui va me paraître interminable mais que j’aborde curieusement avec une confiance absolue. Rien ne pourra arrêter ma progression pour aller au bout de ce défi et décrocher ce titre honorifique de finisher. Il me reste à peine 30 kilomètres à parcourir et je n’ai pas franchi tous les obstacles précédents dont le redoutable colle San Carlo pour mettre pied à terre si près du but.

Bien que trempé jusqu’aux os et totalement frigorifié, ma lucidité n’en est pas pour autant altérée. Je négocie avec prudence les obstacles qui jonches la route, anticipe mes freinages avec beaucoup de précaution. J’enchaîne les virages sans prendre le moindre risque tout en n’hésitant pas à relancer régulièrement l’allure pour ne pas m’installer dans un faux rythme dont il est difficile de sortir. A cet instant, je n’ai qu’une hâte, en finir avec cette descente et m’engager sur la route de Hauteluce synonyme de délivrance.

Cette « délivrance » arrive enfin mais bien que la route s’élève à nouveau, je ne parviens pas à me réchauffer. Quelques coups de tonnerre raisonnent encore au loin mais le gros de l’orage est désormais derrière moi. La pluie n’a pas pour autant cessé et la route sur laquelle je progresse porte les stigmates du récent déchaînement des éléments : branches cassées jonchant le sol, arbres déracinés, fossés transformés en torrents…

Il est bientôt 20 heures et il fait quasiment déjà nuit. J’aperçois au loin les lumières du village de Hauteluce et je sais que je ne suis plus loin du but. J’ai toujours aussi froid mais les jambes tournent bien et je commence à ressentir les émotions que procurent l’approche d’une double victoire : victoire sur les éléments et victoire sur moi-même.

Dans la traversée de Hauteluce une voix venue de nulle ma part m’encourage et me crie que l’arrivée n’est plus très loin. Il reste en effet 7 kilomètres, 7 kilomètres au cours des quels me reviennent les nombreuses images fortes de ce Tour du Mont Blanc. Une aventure épique que je ne suis pas prêt d’oublier…

Je franchis finalement la ligne d’arrivée à 20h30 après 15 heures très exactement passées sur le vélo soit une heure de plus que l’an dernier. Mais qu’importe, j’éprouve un plaisir encore plus fort qu’en 2013 tellement les 30 derniers kilomètres ont été surréalistes.

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Après une bonne douche à l’hôtel, je retourne à la salle de l’espace Diamant qui fait office de PC course. J’y retrouve mon collègue Jacques qui lui aussi en a terminé malgré ces conditions dantesques. Nous avons tant de choses à nous dire !

Les arrivées vont se succéder jusqu’à tard dans la nuit bien qu’une partie des concurrents aient été rapatriés. Plus de la moitié des concurrents ont été contraints à l’abandon mais tous ceux qui sont allés au bout garderont assurément longtemps le souvenir de ce Tour du Mont Blanc 2014.

  1. J’ai bien reconnu ta description de l’état des routes pourries vers Chamonix…..

    Pétard que ça fait froid dans le dos ta dernière descente. Tu as eu de la chance de ne pas avoir de crevaison ou casse dans ces conditions.

    Bravo !

  2. Beau récit.
    J’ai vécu cet événement également. La fin, c’était dantesque mais mémorable.

  3. Trop fort
    en fait on a vécu la même chose, à qqs secondes près
    l’orage du cormet je m’en souviendrai je me suis mis à l’abri ds le local poubelles …
    Et ensuite la descente l’enfer,

    je dois arriver 15′ après toi au Saisies …

    Pour moi c’était une première en distance en d+ à vélo.
    Bertrand