Strava mon beau Strava, dis-moi qui est le meilleur ?

Au siècle dernier, lorsque j’ai commencé à faire du vélo, le compteur kilométrique indiquant le temps, la distance, la vitesse instantanée et la vitesse moyenne faisait figure de nec plus ultra. Le compteur digital venait de faire une entrée fracassante dans les pelotons avec comme ambassadeur un certain Greg Lemond. Nous étions en 1985, année charnière pour le vélo d’ailleurs, puisque c’est cette année là que Bernard Hinault remporta son 5e Tour de France avec des pédales automatiques. Une révolution ! A ses côtés au sein de l’équipe La Vie Claire, Greg Lemond allait donc lui aussi faire souffler un vent nouveau sur le cyclisme avec tout d’abord ses fameuses lunettes Oakley mais aussi avec son petit compteur Avocet fixé sur le cintre.

Une brèche venait d’être ouverte et de nouveaux acteurs emboîtèrent le pas de la firme américaine Avocet dont le siège est situé à Palo Alto en Californie, comme Google… Le destin de Avocet n’a bien entendu rien de comparable avec celui de Google. Il n’y a qu’à jeter un oeil sur l’actuel site internet de la marque pour le constater. C’est même à se demander si les dirigeants de Avocet savent que l’on est désormais en 2014 : leur site d’un autre âge affiche certes « Innovative outdoor sport products since 1977 » mais l’innovation semble s’être arrêtée depuis longtemps !

Pour autant, l’aspect rudimentaire des 4 compteurs que compte la gamme pourra toujours satisfaire le cyclo qui recherche simplement un compteur pratique, fiable et simple d’usage et qui se borne à l’essentiel. Voilà quelques similitudes avec le téléphone portable : les smartphones d’aujourd’hui ne nous ont-ils pas presque fait oublier que la fonction de base recherchée est avant tout… le téléphone !

La révolution numérique n’a donc bien évidemment pas épargné le monde du sport qui surfe sur la mode des objets connectés avec toute une panoplie de capteurs qui s’immiscent jusque dans les vêtements pour mesurer nos « performances ». L’objectif est non seulement de pouvoir suivre notre activité en temps réel mais aussi de se comparer aux autres via les réseaux sociaux, qu’ils soient « généralistes » ou dédiés à l’instar de Strava à propos duquel un article de Clément Guillou a suscité de nombreuses réactions…

Désormais, l’affichage rudimentaire de l’Avocet a donc laissé place à un véritable tableau bord qui fait dire à certains (grincheux ?) qu’avec les données qu’enregistrent à chaque sortie les compteurs les plus aboutis, on passera bientôt plus de temps à les analyser et à les comparer aux autres qu’à pédaler…

Qui sait si dans quelques années, on ne verra pas se développer une pratique cycliste virtuelle permettant de grimper les plus cols ou de disputer des courses depuis son garage grâce à l’exploitation de tout un tas de données permettant de reconstituer des univers virtuels très réalistes à l’instar des jeux vidéos. Des « courses » pourraient même se dérouler avec une tactique basée sur l’ajustement des watts par rapport aux autres concurrents répartis aux 4 coins de la planète. Un jour viendra peut-être ou les grandes classiques se disputeront sur des plate-formes reproduisant en 3D des monuments du cyclisme comme le Poggio, le mur de Grammont, la côte de la Redoute… Mieux, le fan de vélo, jusque là passif devant sa TV pourra, comme dans un jeu vidéo jouer au directeur sportif en ajustant la résistance du home-traîner connecté de son poulain face à ses adversaires, une bière dans la main gauche, un joystick dans celle de droite !

Mais tout ceci n’est bien entendu que pure fiction, pédaler à l’air libre ne remplacera jamais une pratique virtuelle, aussi réaliste soit-elle. Rien ne remplacera le « bonheur » de lutter avec abnégation contre le vent, ou celui d’avoir le visage fouetté par la pluie !

Pour autant, observant depuis de nombreuses années l’évolution des pratiques numériques dans le cadre de mes activités professionnelles, je constate que cette fameuse fracture numérique dont on entend souvent parler n’a jamais été aussi importante. C’est d’ailleurs quasiment une fracture sociale à laquelle on assiste entre d’un côté ceux qui sont « entrés dans le numérique » et qui y gèrent quasiment une seconde vie et ceux qui restent en marge pour de multiples raisons. Dans un univers numérique où tout nous invite à être visible et parfois même à notre insu, la question est de savoir quelle posture faire adopter à notre alter ego digital : il n’est pas toujours simple en effet d’être le community manager de sa propre personne. De l’addiction au narcissisme exacerbé, les « déviances » ne manquent pas : Strava mon beau Strava, dis-moi qui est le meilleur…

  1. Merci pour cet article Patrick, et pour la référence à l’article de Rue89, intéressant lui aussi)
    Perso je pense que Strava est un outil intéressant et qui peut apporter de la motivation… pas forcément dans la comparaison à l’autre mais dans l’historisation de tes parcours, et (je l’espère parce qu’en fait j’y suis depuis 1mois) la comparaison à postériori de tes « performances ».
    A titre personnel, je ne crains pas de chatouiller des KOM existants (à la limite en créant un segment pour rigoler, mais très vite je me ferai submerger par les cadors du coin).
    Je pense qu’encore une fois il y a plusieurs utilisations de l’outil et c’est bien. Apres, le coté narcissisme, il existe aussi dans cet outil, comme ici sur FB, ou G+ ou autre, mais c’est un nouveau mode de vie « moderne et un peu narcissique », c’est vrai, de montrer ce que tu fais, ce que tu es… et ce à un niveau que tu es le seul à définir, de façon plus ou moins responsable (histoires d’e-reputation… bon je ne m’étends pas sur la mienne :)).
    Sur Strava c’est tout à fait limité… et j’y vois plus un outil potentiellement balaise qui permet de connaitre, d’apprécier, et d’influencer par ton travail, ton niveau de forme… donc un outil globalement chouette Il ne faut surtout pas limiter strava aux KOM, sinon effectivement, c’est un peu « à pleurer »…

  2. Intéressant… pour ma part, mon premier compteur ne donnait que la distance totale et la distance de la sortie et se fixait au niveau de la roue… fallait avoir de bon yeux ! j’ai maintenant un compteur qui m’en donne un peu plus, mais je ne souhaite pas passer au garmin 8000 (!) et autre strava. C’est un choix, mais je n’ai rien contre ceux qui utilisent cela, chacun sa façon d’envisager le vélo, y’a assez de problèmes comme ça pour pas ce chamailler pour si peu

    cependant quand tu écris : « C’est d’ailleurs quasiment une fracture sociale à laquelle on assiste entre d’un côté ceux qui sont « entrés dans le numérique » et qui y gèrent quasiment une seconde vie et ceux qui restent en marge pour de multiples raisons. »
    Justement parmi les multiples raisons il y a ceux qui refusent le monde numérique par choix de vie, il n’y a alors pas de fracture sociale, juste un mode de vie différent.

  3. Bon article (comme d’habitude) et très bon complément de Manu. Avis largement partagé. A l’époque j’avais hésité à réagir à l’article de Rue 89 mais je me suis ravisé considérant que c’était totalement inutile les protagonistes (ou belligérants) ne parlant pas du tout de la même chose. Je l’utilise depuis plus de deux ans, et j’ai enfin un outil de carnet d’entraînement que je rempli (ou plutôt auto rempli). Cela me permet également d’apprécier mon état de forme sur des segments caractéristiques, c’est d’ailleurs souvent surprenant le décalage entre les sensations et les temps réels. J’aime bien également les challenges mensuels qui me donnent un surplus de motivation. Autre fonction assez intéressante la planification du parcours que je télécharge sur le garmin. Et oui j’avoue la compétition « virtuelle » sur certains segments et avec mes abonnés est une fonction que j’utilise. Bref pour moi c’est un très bon outil surtout couplé avec un compteur GPS. Je vous conseille le site veloviewer.com qui pousse l’exploitation des données à l’extrême.

  4. je transfere mes sorties sur Strava depuis 2 mois, comme j’ai tout les fichiers de l’année (et même ceux de l’an dernier), j’ai petit à petit basculé toutes mes sorties de l’année. Et je rejoins Manu : j’ai fais cette année 21 fois le même parcours Pérérée-Ronzière pdt mon petit créneau de midi (quan les minutes sont comptées, on ne cherche pas le folklorique !): un panel qui me permet de voir les jours où les jambes étaient là et ceux où j’étais à la ramasse !!! et qui va me servir à voir où j’en suis où cours de la saison qui arrive. Et mine de rien, c’est aussi une source de motivation personnelle pour essayer de se surpasser sur une sortie. Maintenant, il faut aussi savoir oublier les segments certains jours ! Sinon, Avocet, c’était aussi mon 1er compteur, en 88

  5. On ne peut pas avancer à contre courant, de plus en plus notre vie sera connectée, bien ou mal le coup est parti et rien ne reviendra en arrière.
    Il me semble préférable de suivre le mouvement car à partir du moment ou tu es laché cela devient difficile de revenir.
    Pour ma part je suis équipé d’un Garmin Edge 1000 et je trouve son utilisation motivante. Comme je roule toujours seul je prends plaisir à faire effort lorsque j’arrive sur un ségement, cela me motive, je prends plaisir à battre mes records personnels. Voilà un petit plaisir pas trop cher.

  6. Je connais des gens qui n’ont ni ordinateur, ni portable et sûrement pas Internet, qui font du vélo sans compteur et qui ne se porte pas plus mal ! Dire qu’on ne peut pas avancer à contre courant c’est un peu exagérer. Pour ma part j’ai un ordi avec connexion Internet, mais je n’ai qu’un portable tout simple qui ne me sert qu’en cas d’urgence et qui ne fait que téléphone, et le net je m’en contente quand je suis chez moi, en dehors basta ! sur mon vélo je ne vois vraiment pas l’utilité que j’aurai d’un garmin pour la pratique que j’ai.

  7. Pour l’avoir utiliser quelques années, pour moi le top en terme de motiv, capteur de puissance et logiciel Power Agent. Une autre approche et pas le même budget. Et après un arrêt de 18 mois, tellement agréable de mesurer sa…..régression !

  8. L’été dernier il m’a permis de retrouver le goût de jouer et le plaisir de me faire mal à la gueule…

  9. C est drôle mais je suis totalement hermétique à Strava…. Je pédale justement pour ne plus être connecté pendant quelques heures, je n enregistre jamais mes parcours de mon Garmin et ne note même plus mon kilométrage annuel…. À la limite, rouler sans compteur ni cardio j aime aussi ! Je crois que je n ai pas envie que mon espace de liberté soit « sous contrôle » de quoi que ce soit… Juste profiter des amis cyclistes qui roulent avec moi et du théâtre que propose la nature….
    Mais je comprends tout à fait le phénomène…. Ça doit être une « interface » de trop pour moi après les mails et Facebook

  10. Je pense que l’on se créé des besoins et effectivement que l’on peut très bien vivre sans… Mais on évoque déjà l’idée de ne plus enseigner l’écriture cursive aux enfants. D’où mon envie de coller au peloton pour ne pas me retrouver hors délai.

  11. Strava ça m’a remis au vélo, l’historisation et la mesure de la progression c’est ce que j’ai surtout apprécié. Je crois que si je n’avais pas eu ce côté mesure et enregistrement consultable facilement, j’aurai à nouveau laché le vélo quelques mois plus tard. Ca fait maintenant plus de 2 ans que je l’utilise et j’ai même investi dans un capteur de puissance. Et là, on relativise sur la manière dont on concevait l’entrainement avant… Je rejoins totalement l’avis de Nicolas.

  12. Bel article Patrick ! J’avais également bien apprécié celui de rue89. Mais comme toute nouveauté il y a des inconvénients, enfin surtout des gens qui détournent les avantages pour en faire des inconvénients. Mais comme je vois 95% d’avantages à utiliser Strava pourquoi s’en priver ?
    C’est comme ceux qui n’utilisent pas Facebook à cause des 5% d’inconvénients.
    C’est comme ceux qui n’utilisent pas de téléphone portable à cause de… 1% d’inconvénients
    C’est comme ceux qui n’utilisent pas de GPS voiture à cause de 5% des inconvénients.
    Je crois que personne n’a dit qu’il fallait utiliser tout ça sans prendre le moindre recul. Ce sont de formidables (nouveaux) outils qui méritent un certain nombre de précautions.