Depuis de nombreux mois, j’avais en tête cette date du 29 juin 2013 et pas une sortie de vélo ne s’est passée depuis janvier sans qu’elle ne s’invite à mon esprit. Il faut dire que le menu proposé par le Défi des Fondus de l’Ubaye a de quoi aiguiser l’appétit : 320 kms, 7 cols et près de 7000 mètres de dénivelé à boucler dans un délais maximum de 24 heures. A cela s’ajoutent la qualité de l’accueil, la gentillesse et la générosité de cette petite équipe qui se met en 4 chaque dernier week end de juin depuis maintenant 11 ans. C’est quelque chose d’unique :
qu’ils soient au PC course ou au sommet des cols, les bénévoles font preuve d’une attention que l’on ne retrouve dans aucune autre épreuve. L’esprit montagnard, fait d’entre aide, de générosité, de simplicité et de solidarité prend tout son sens dans cette si belle vallée de l’Ubaye aux confins de la France et de l’Italie.
Cette parenthèse montagnarde fut un vrai régal malgré une météo pas encore vraiment estivale.
Il faisait en effet bien frais quand nous nous sommes élancés de Barcelonnette samedi matin à 5h30. La vingtaine de kilomètres nous séparant du pied du col de Vars a tout juste permis aux organismes bien engourdis de se réchauffer un peu.
Dès les premiers mètres, la sélection s’opère inexorablement. Un groupe de 3 costauds prends les devants suivis par un autre petit groupe de 4 que je préfère ne pas suivre penssant à la suite du programme…
J’entame alors un très long périple solitaire qui va néanmoins me permettre de gérer comme je l’entends ma progression sans me soucier de qui que ce soit.
Contrairement à ce que je craignais un peu, le froid n’est finalement pas si intense dans la descente du col de Vars, à condition bien entendu d’être habillé en conséquence !
La seconde ascension du jour jusqu’à la station de Saint Anne se passe sans encombre, tout comme la descente, malgré une route piégeuse.
Ayant pris soin d’avoir noté mes temps de passage de 2011, c’est le moral gonflé à bloc que je me présente au pied du gros morceau du jour, le col de la Bonette, avec quasiment 10 minutes d’avance sur mon plan de marche… et toujours seul.
Les 24 kilomètres pour atteindre les 2800 mètres de la fameuse route la plus haute d’Europe permettent d’évoluer dans des paysages grandioses qui font (presque) oublier les passages parfois un peu corsés qu’il faut franchir. Le coup de pédale est régulier et la progression s’effectue dans un décor de carte postale avec la neige de plus en plus présente au fur et à mesure que l’on prend de l’altitude. Les bornes kilométriques défilent. Encore 5 kilomètres, puis 4, puis 3. La pente s’adoucit alors un peu et le profil devient même pratiquement plat sur quelques hectomètres. Un répit salvateur car les pourcentages les plus durs sont situés dans le dernier kilomètre. Là, la hauteur de neige atteint encore 3 à 4 mètres à la faveur des congères formés tout au longtemps de l’hiver très rigoureux qu’a connu la vallée de l’Ubaye. Et puis vient la délivrance, le dernier coup de pédale, le dernier coup de rein pour atteindre le sommet de cette longue ascension qui me procure toujours des sensations uniques. La vue sur les sommets enneigés du Mercantour est féerique. La température ne se prête cependant pas trop à une pause prolongée et s’est en tenue quasi hivernale que je me lance dans la descente.
Dès les premiers mètres, le froid est saisissant, la mâchoire se crispe et les doigts s’engourdissent. Les virages se succèdent, la vitesse augmente mais il faut continuer à pédaler pour maintenir le moteur en température.
A mi-descente, un troupeau de moutons traverse la route sans doute attiré par une herbe plus fraîche sur le versant d’en face ! Passé ce « bouchon » montagnard, je reprends ma folle plongée vers Jausiers en espérant y trouver une température plus clémente. C’est effectivement le cas et j’en profite pour enlever une première épaisseur avant de changer complètement de tenue au ravitaillement de Uvernet.
L’aventure se prolonge alors en direction du col de la Cayolle, l’avant dernier « 2000 » du jour.
Poussé par un vent favorable, je passe sans encombre les gorges du Bachelard où la température n’a plus rien à voir avec celle du matin. J’ai désormais près de 20 minutes d’avance sur mon tableau de marche. Je conserve un rythme régulier, toujours seul. Devant moi, les 2 premiers ont fait le trou sur leurs 3 poursuivants et au gré de quelques virages en épingle, je ne vois personne revenir de l’arrière. Tout cela n’a au fond que bien peu d’importance, il faut avant tout continuer à garder une allure régulière sans s’occuper du comportement des autres.
Arrivé à Bayasse, la pente s’accentue à la faveur d’un virage sur la droite. On quitte alors les gorges du Bachelard pour effectuer les 9 derniers kilomètres du col de la Cayolle dans des paysages beaucoup plus verdoyants et ouverts.
A ce moment là, j’ai l’impression d’être isolé dans une bulle et rien ne semble vouloir perturber ma progression. L’esprit serein, les jambes continuent de bien tourner. Je savoure chaque kilomètre qui me rapproche du sommet en ayant l’étrange sensation d’être ailleurs. Les sifflements des marmottes sont toujours aussi présents tout comme les sonnailles des troupeaux qui ont rejoint leurs quartiers d’été depuis seulement quelques jours.
Au sommet de la Cayolle, je fais pointer pour la 4e fois ma carte de route. L’une des personnes présente à ce poste de contrôle m’aide à enfiler mon coupe vent et me voilà reparti pour une nouvelle descente dans laquelle je croise d’autres concurrents à qui j’adresse un signe en guise d’encouragement.
Au pied du col d’Allos, je retrouve enfin un concurrent mais ill attaque les premiers kilomètres sur un train qui ne me convient pas. Qu’importe, je le laisse prendre 2, puis 3 longueurs préférant conserver mon propre rythme. Finalement, après 3 kilomètres, je commence à revenir sur lui et finis par me retrouver à sa hauteur. On échange 2 mots et on progresse alors côte à côte pendant un demi-kilomètre. La pente s’adoucit. J’en profite pour tomber quelques dents et me je mets en danseuse pour me dégourdir les jambes. A ma grande surprise, mon éphémère compagnon de route perd mon sillage. Je temporise puis reprends ma progression solitaire tel un métronome. A 2 kilomètres du sommet, me voilà pris au milieu d’un troupeau transhumant au milieu duquel je croise deux des concurrents qui me devancent. Eux ont déjà atteint le sommet du col d’Allos et redescendent vers Barcelonnette. Je les imite quelques minutes plus tard avec désormais 30 minutes d’avance sur mon tableau de marche.
La descente du col d’Allos est une vraie partie de plaisir. Les virages s’enchaînent les uns aux autres. Je relance régulièrement l’allure. J’éprouve une certaine euphorie alors que je suis sur le point de franchir le cap des 10 heures de vélo depuis le départ.
De passage une dernière fois au poste de contrôle de Barcelonnette, je refais le plein de boisson et de gels énergétiques avant de prendre la direction du fond de la vallée pour aller cueillir les 2 derniers cols de ce défi. Le vent est fort et le ciel s’est bien couvert. Qu’importe, il en faut bien plus pour altérer mon moral ! Je m’engage dans cette dernière partie de l’épreuve avec un nouveau compagnon de route. Pour affronter le vent qui souffle défavorablement, c’est sans doute un avantage que d’être 2. J’assure cependant une grande partie des relais et peu avant le Lauzet en Ubaye, je me retrouve à nouveau seul. Je temporise et notre duo se reforme à l’amorce du col Saint Jean.
Cette antépénultienne difficulté tranche avec les cols précédents. Ici la route est large et s’élève en balcon au dessus des eaux turquoises de la retenue de Serre Ponçon sans jamais excéder les 5%. Au sommet, je suis à nouveau seul, mon ancien compagnon de route ayant pris quelques longueurs de retard. Je l’attends et nous repartons ensemble en direction du dernier morceau de bravoure de la journée mais il est une nouvelle fois distancé au cours de la rapide descente qui nous ramène au bord de l’Ubaye.
Avant d’atteindre le pied du col de Pontis, il faut d’abord se hisser jusqu’au village du Sauze qui domine le lac de Serre Ponçon. Le soleil a fait sa réapparition et la température s’en ressent. Encore quelques kilomètres et le pied du col de Pontis sera là à droite en quittant la route qui conduit à Savines. Un dernier effort reste alors à produire pour affronter une pente qui flirte parfois avec les 12% et qui ne tombe jamais en dessous 9% sur près de 3 kilomètres. C’est court, mais avec quasiment 300 kilomètres dans les jambes, c’est bien suffisant ! Heureusement, les derniers 500 mètres sont quasiment plats, permettant de savourer l’arrivée au dernier poste de contrôle pour un dernier coup de tampon.
J’ai conservé mon avance de 30 minutes sur mon temps de référence de 2011 et je me lance avec une extrême prudence dans la délicate descente du col de Pontis. 25 kilomètres me séparent encore de Barcelonnette et le ciel n’a rien d’engageant. Qu’importe, la délivrance est au bout. Je prends un dernier gel énergétique, le 12e depuis le départ, et me voici lancé dans une euphorique remontée de la vallée de l’Ubaye.
La route est parfois mouillée mais j’évite finalement les averses jusqu’au bout.
Encore 15 kilomètres, puis 10 et maintenant 5. Cette fois ça y est, l’arrivée est toute proche, ma quête du graal touche à sa fin. Une immense émotion m’envahit, et des dizaines d’images de ce périple débutté aux premières lueurs du jour défilent devant moi. Ultime relance, je lâche les derniers chevaux, le compteur dépasse les 40 km/h et j’entonne à tue-tête le célèbre refrain de “Seven Nation Army” des Whites Stripes en guise de délivrance le long de la digue de l’Ubaye à l’entrée de Barcelonnette qui pour l’occasion se transforme pour moi en véritable remontée des Champs Elysée. Je suis comme une gosse qui vient de recevoir un cadeau qu’il attend depuis très longtemps…
A ma descente de vélo, ma joie redevient plus intérieure; ma femme et ma fille sont là et leur présence ajoute une dimension supplémentaire à mon bonheur. Ma folle journée en Ubaye s’achève mais je ne suis pas prêt de redescendre du petit nuage sur lequel elle m’a conduit après 13h35 d’effort.
Cette épreuve est véritablement atypique, de par son profil mais aussi pour la cause qu’elle défend car n’oublions qu’au delà de l’effort qu’elle nécessite, elle invite chaque participant à contribuer à la lutte contre la mucoviscidose. Bravo donc à tous ceux qui se sont mobilisés et mille mercis encore une fois aux organisateurs pour leur bienveillante attention .